De la dynamite d'Alfred Nobel jusqu'à l'inter-urbain bon marché de Skype, la Suède est une contrée d'inventeurs. Pas étonnant que les Suédois aient conçu de toutes pièces un nouveau type de régime de retraite, pour remplacer leur ancien système public qui prenait l'eau.

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Au début des années 90, la Suède a fait face à une grave crise financière. Berceau de la social-démocratie, la Suède n'a pas eu le choix de faire des compressions. Mais tôt ou tard, il aurait été nécessaire de redresser la barre pour faire face au vieillissement de la population. Dans 30 ans, près du quart des Suédois auront plus de 65 ans, exactement comme au Canada. L'ancien système de retraite n'aurait pas tenu le coup.

Auparavant, les Suédois pouvaient travailler 30 ans et obtenir la rente maximale. Les retraités recevaient 60% de leur salaire des 15 meilleures années (70% en ajoutant la rente du régime de leur employeur). En plus d'être extrêmement coûteux, l'ancien système était très régressif. Il menait à une importante redistribution de la richesse des pauvres vers les riches. «Il y en avait moins pour Robin des Bois et plus pour le Shérif de Nottingham», illustre Bo Könberg président du conseil de l'Office des retraites de la Suède qui supervise le système de rentes de l'État.

Pour encourager les gens à travailler plus longtemps, la Suède a créé un régime de retraite à «cotisations déterminées notionnel» il y a 15 ans. Pur design suédois. Avec ce nouveau régime, le niveau des cotisations est coulé dans le béton. Fini les dépassements de coûts. Par contre, le niveau des rentes fluctue selon une formule complexe qui tient compte de plusieurs variables.

Désormais, les Suédois amassent 18,5% de leur salaire chaque année pour financer leur retraite. La contribution est partagée entre l'employeur et l'employé. Les gens voient exactement où ils en sont rendus. Mais l'argent reste théorique (sauf pour la contribution de 2,5% destinée aux comptes Premium). C'est une promesse de rente qui s'accumule dans un compte en banque «notionnel». Ce sont les générations futures qui paieront les rentes des travailleurs actuels, comme dans l'ancien système.

L'avantage du nouveau système? Chacun est sûr d'obtenir exactement son dû. «Il y a maintenant un lien très étroit entre les contributions et les bénéfices, entre ce qu'on paie et ce qu'on reçoit», explique Bo Könberg. Désormais, si les Suédois travaillent plus longtemps, ils obtiennent davantage à la retraite. Chaque heure de travail supplémentaire bonifie la rente. «Chaque couronne gagnée compte», insiste M. Könberg.

Au boulot jusqu'à 70 ans

Mais les Suédois ont perdu au change. «On s'est fait avoir!» blague Mikael Nyman, rédacteur en chef d'une publication spécialisée sur les régimes de retraite. «Avant, nous avions un système qui me permettait d'avoir une pleine retraite après 30 ans de travail. Pour avoir l'équivalent, il faudra que je travaille pendant 40 ans... ce qui est correct.»

Comment les Suédois ont-ils pu avaler cette réduction? Il n'y a que deux réponses possibles, selon M. Nyman. A: Ils n'ont rien compris du tout. B: Ils ont très bien compris que l'ancien système n'était plus viable financièrement. «La Suède était au milieu d'une crise, rappelle-t-il. Les étrangers ne voulaient plus acheter nos obligations gouvernementales. La réforme était un moyen de nous sortir du trou.»

Aujourd'hui, les finances publiques sont en santé. Mais les Suédois devront travailler plus longtemps, les jeunes en particulier. C'est que le nouveau système tient aussi compte de l'espérance de vie qui augmente d'environ un an chaque décennie. «Si les gens vivent plus vieux, ils devront travailler plus longtemps afin d'obtenir une rente équivalente», dit Bo Könberg.

Prenez un Suédois de 51 ans. Il devra reporter sa retraite de 65 à 67 ans. Mais c'est logique, car il vivra probablement trois ans plus vieux que son père, soit jusqu'à 85,5 ans et demi. À ce rythme, les jeunes qui ont 20 ans aujourd'hui devront travailler au-delà de 68 ans... ou se contenter d'une rente inférieure.

Car les Suédois ont le choix: ils peuvent partir dès 61 ans. Mais leur rente sera très faible. Sinon, ils peuvent attendre à 65, à 66 ans, ou plus tard. Chaque année de plus bonifiera leur rente d'environ 10%. Ainsi, l'âge de la retraite devient un choix purement personnel, plutôt qu'un enjeu social récurrent comme dans d'autres pays européens qui ont dû repousser l'âge légal de la retraite. «On a eu beaucoup moins que problèmes qu'en France», dit Bo Könberg en souriant.

Travailler jusqu'à 70 ans, ce n'est pas un scénario catastrophique, assure Joakim Palme, directeur de l'Institute for Futures Studies, à Stockholm. «Mais si les gens ne sont pas en santé, c'est un vrai problème, dit-il. Il faut voir comment on peut investir dans leur santé, comment on peut organiser le travail des gens plus âgés. Les études démontrent clairement que ce n'est pas le montant de la rente, mais plutôt les conditions de travail qui font en sorte que les gens prennent leur retraite plus tard.»

Les rentes réduites

Les retraités ressentent aussi les effets de la réforme. Auparavant, l'indexation de leur rente suivait l'inflation. Au cours d'une longue période économique difficile, les revenus des retraités avaient grimpé davantage que ceux des travailleurs. Pour plus d'équité, les rentes suivent maintenant la hausse du salaire des travailleurs.

Et pour éviter que le système déraille, la Suède a aussi inventé des «freins», un mécanisme complexe qui réduit les rentes pour assurer la viabilité à long terme du système, sans jamais avoir à hausser les contributions.

C'est un beau mécanisme, affirme Mats Langensjö, associé chez Diplomat Communications. «Sauf que la seule question que tout le monde se pose est: combien d'argent est-ce que je vais recevoir à chaque mois à la retraite? Et c'est la seule question à laquelle il n'y a pas de réponse», dit-il.

Pour la première fois, les rentes ont été réduites de 2% en 2010, à cause des aléas sur les marchés financiers. Puis, elles ont fondu de 5% en 2011. Personne n'est monté aux barricades. «Je pense que les gens ont accepté le fait que lorsqu'il y a des problèmes économiques, il y a un impact même sur les rentes de retraite», dit Bo Könberg qui prévoit une remontée des rentes au cours des deux prochaines années.

Mais certains redoutent une érosion des rentes à long terme. Ils remettent en question cette mécanique trop bien huilée.

«Le grand défi politique derrière un système de retraite est d'arriver au bon équilibre entre le niveau des rentes, l'âge de la retraite et les contributions. Et cet équilibre doit être continuellement monitoré. C'est la responsabilité première des politiciens», estime Karl Gustaf Scherman. Ancien directeur de l'Agence de retraite suédoise durant la réforme, il est devenu l'un de ses plus sévères critiques du nouveau système, après son mandat. «Ici, on a trouvé une solution qui règle les problèmes pour l'éternité, ironise-t-il. Ça ne se peut pas!»