Investisseurs et spéculateurs sous-évaluent l'ampleur des défis qui guettent les pays de la périphérie de la zone euro, aux prises avec une dette et des déficits de plus en plus difficiles à (re) financer.

«Le taux de réussite des pays qui ont tenté de surmonter des niveaux d'endettement élevé jumelé à une économie non concurrentielle sans restructuration de leur dette ou dévaluation de leur monnaie est extrêmement faible», rappellent Angelo Katsoras et Pierre Fournier, analystes géopolitiques à la financière Banque Nationale.

Dans une étude récente intitulée La géopolitique de la crise de la dette en zone euro: Les marchés sous-estiment-ils les risques? ils fournissent trois explications à cette constatation. La croissance de ces pays est trop faible pour assurer le service de leur dette et de leurs emprunts d'urgence; les mesures draconniennes pour redresser la situation sont politiquement intenables à terme d'autant que leurs résultats sont incertains; demander l'aide de leurs voisins mieux notés comme l'Allemagne ou la France de leur prêter encore et encore est impossible tant politiquement qu'économiquement.

Ne reste alors que la restructuration de la dette. Restructurer, c'est faire subir aux prêteurs une dévaluation importante de leurs créances. MM. Fournier et Katsouras ont relevé les restructurations de la dette souveraine d'une quinzaine de pays entre 1990 et 2010. En moyenne, les prêteurs ont récupéré 53% de leurs mises.

Le gros de la dette des pays en difficulté n'est pas détenu par leurs institutions, mais par d'autres banques européennes. On estime à 548 milliards de dollars l'exposition des seules banques allemandes dans la dette de la Grèce, de l'Irlande, du Portugal et de l'Espagne (PIGS), celles de la France et du Royaume-Uni ayant chacunes plus de 350 milliards.

Le problème est amplifié du fait que les banques européennes doivent refinancer 600 milliards de leur propre dette, tant en 2011 qu'en 2012.

La dévaluation de la monnaie est exclue à moins de choisir de quitter l'euro afin de restaurer les monnaie d'antan. Il s'agit d'une entreprise qui n'a rien d'une sinécure, dans l'hypothèse où les autres membres de la zone euro l'acceptent.

Dès sa réintroduction, la monnaie plongerait, ce qui générerait une flambée des prix des biens importés et un gonflement immédiat de la dette. «Si la drachme grecque était remise en circulation et perdait 50 % de sa valeur contre l'euro, alors la dette grecque libellée en euros augmenterait de 50%», font remarquer Kim Beckman et Paul Darby du Conference Board du Canada dans le dernier numéro de World Outlook.

La dette publique grecque équivaudra à près de 140% de son PIB cette année.

Les mesures d'austérité ne sont pas garantes de succès, d'autant plus qu'elles entravent la croissance, comme en font douloureusement l'expérience la Grèce et même le Royaume-Uni dont le PIB a reculé de 0,5 % au quatrième trimestre. «La nette austérité adoptée immédiatement en Grèce finira, en fait, par faire augmenter le ratio de la dette au PIB avec le temps, étant donné l'impact négatif sur la croissance intérieure», signale Peter G. Hall, économiste en chef à Exportation et Développement Canada dans son propos hebdomadaire publié cette semaine.

MM. Fournier et Katsoras rappellent aux investisseurs qu'à compter de 2013, le mécanisme de résolution de la dette souveraine ne reposera plus sur les seules épaules des contribuables européens mais aussi sur celles des créanciers. «En cas de défaillance, le remboursement des prêts contractés à l'Union européenne et au Fonds monétaire international aura préséance sur les réclamations des prêteurs privés», rappellent-ils.

Ils leur recommandent de placer plutôt leurs billes dans de grandes sociétés européennes, bien installées dans les tendances mondiales telles que Siemens, BMW, LVMH, BASF ou Air Liquide.

«Si l'histoire peut servir de guide, l'objectif de la zone euro de permettre à certains pays de surmonter la crise de leur endettement et de devenir plus concurrentiels sans restructuration de leur dette paraît irréalisable», concluent MM. Fournier et Katsoras.