La crise de la dette a creusé l'écart entre les bons et les mauvais élèves au sein de la zone euro mais, si d'importantes différences existent bien entre ces pays, elles sont accentuées par la spéculation et le fonctionnement même des marchés.

Les taux auxquels se financent les pays les plus fragiles de la zone euro - les fameux Piigs (Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) - se sont envolés cette semaine et la différence avec la dette allemande, qui sert de référence, s'est écartée, atteignant parfois des niveaux jamais vus.

Une situation assez récente car au début de la création de la zone euro, les différents États se finançaient à des niveaux très proches malgré leurs différences, les taux étant grosso modo alignés sur ceux de l'Allemagne, locomotive de l'Europe.

A titre d'exemple, les taux irlandais ont même été inférieurs à ceux de Berlin en 2007, alors que l'Irlande doit payer actuellement le triple de l'Allemagne pour emprunter sur les marchés.

Le point de départ de cet écart des taux remonte à la crise du subprime, puis a explosé avec la crise grecque, rappelle Philippe Brossard de Macrorama. «On s'est dit que c'était d'abord un problème de liquidités avant de se rendre compte qu'il s'agissait des différentes visions de la solvabilité des États», explique-t-il.

Cette situation est également liée au fonctionnement même de la zone euro où tout le monde «émet dans une monnaie commune qui n'est la monnaie de personne», estime pour sa part Dominique Barbet, économiste chez BNP Paribas.

«Les États-Unis peuvent s'appuyer sur la Réserve fédérale qui achète massivement des bons du Trésor et créé du dollar» tandis que la Banque Centrale Europénne (BCE), s'est montrée beaucoup moins interventionniste.

À ce jour, la BCE a racheté quelque 67 milliards d'euros de dette là où la Fed achète 100 milliards de dollars par mois.

Paradoxe de la crise et des divergences économiques qu'elle a brutalement révélées, les taux de certains pays européens, comme la Grèce, sont les mêmes, sur le marché, que des États pourtant considérés comme plus risqués.

«C'est normal de voir s'écarter les taux au sein de la zone euro, mais il y a des aberrations», déplore Jean-François Robin, stratégiste chez Natixis, citant les taux portugais qui sont supérieurs à ceux de la Roumanie.

«La Grèce est (considérée comme) plus risquée que la Jamaïque, que le Pakistan et que l'Argentine. L'Irlande aujourd'hui est plus risquée que le Portugal, que l'Irak, la Hongrie et la Roumanie. L'Espagne est beaucoup moins sûre que le Liban ... la situation des marchés, c'est celle-là. Cela n'est pas raisonnable», se lamentait récemment une source diplomatique européenne de haut rang à Bruxelles.

«Les investisseurs internationaux vont devoir se reposer la question de l'Europe par rapport au reste du monde», relève-t-il, expliquant que le marché est en ce moment très spéculatif et volatil.

Pour Romain Boscher, directeur de la gestion chez Groupama, il convient de rappeler que les marchés de la dette irlandaise ou portugaise ne représentent que 2 à 3% du volume obligataire de la zone euro.

«Ce qui joue également, c'est la détention de titres par des non-résidents. Ainsi, quand les investisseurs entendent les pires rumeurs, un Australien va sortir d'autant plus vite que le marché est étroit» (les titres sont moins faciles à céder que les obligations allemandes ou françaises), indique-t-il.

Pour réduire les écarts de taux quoi qu'il arrive, il faudrait que la confiance dans la zone euro soit de retour, s'accordent les observateurs.

«Si les gouvernements n'arrivent pas à redevenir crédibles sur l'impossibilité d'une faillite publique en Europe, les prédictions des marchés vont s'autoréaliser», prévient M. Brossard.