Les jeunes sortaient de l'armée férus de technologie, des idées plein la tête pour se lancer en affaires. Les immigrants débarquaient à la recherche de quelque chose à créer. Ne restait qu'à mettre le feu aux poudres. Le gouvernement israélien a craqué deux allumettes - deux programmes qui ont embrasé l'entreprenariat israélien.    

Yigal Elrich est connu comme le «père du capital-risque israélien». Mais au début des années 1990, c'est le titre de scientifique en chef qu'il portait - un grand manitou qui supervise la science et la technologie de son pays.

De son poste, M. Erlich voyait les scientifiques bricoler des inventions. Il voyait les immigrants bardés de doctorats, majoritairement russes, brasser des idées dans les incubateurs technologiques que le gouvernement avait créés largement pour eux.

Mais comme un gâteau raté, l'affaire ne levait pas. «La plupart des entreprises, malheureusement, échouaient», raconte l'homme.

M. Erlich finit par identifier deux ingrédients manquants. Pour tester les idées et soutenir les entreprises, il fallait d'abord de l'argent - beaucoup plus que ce que le gouvernement pouvait saupoudrer.

L'autre est l'expertise. Qui dit innovation dit risque, et Israël avait un criant besoin de gens d'expérience, capables d'identifier rapidement les projets ayant de réelles chances de succès et d'y miser leur argent - quitte à le perdre en cas d'échec, mais avec la promesse de faire fortune lors des bons coups.

«L'idée était claire: il fallait créer une industrie de capital-risque locale en Israël», résume M. Erlich. En partant pratiquement de zéro.

M. Erlich convainc le gouvernement de lui accorder 100 millions US. Puis lance un plan, Yozma, qui signifie «initiative» en hébreu.

L'idée: convaincre les financiers d'expérience, surtout américains, de lancer des fonds en Israël. Mais pas question de les laisser mener le bal.

«Nous leur avons dit immédiatement: il faut des gestionnaires locaux. Et vous allez les entraîner.»

En échange, Yozma promet d'injecter 40% des capitaux initiaux. Et offre un cadeau à ses partenaires: après cinq ans, ceux-ci peuvent racheter les parts du gouvernement à prix d'ami.

Les étrangers embarquent et l'affaire décolle. Dix fonds de capital-risque de 20 millions chacun sont bientôt lancés, tous dirigés d'Israël.

Aujourd'hui, tous les fonds lancés par Yozma sont encore en vie. Ensemble, leur capital est passé de 200 millions à près de 3 milliards US. Le gouvernement, entre temps, s'est retiré au profit du privé. En encaissant un montant supérieur aux 100 millions investis initialement.

L'industrie du capital-risque israélienne, aujourd'hui la plus vigoureuse au monde compte tenu de sa taille, était née.

Une agence de rencontre

Yozma est un succès qui a attiré l'attention du monde entier, y compris au Québec (voir la suite de notre dossier lundi). Mais même au début des années 1990, Yigal Erlich ne partait pas complètement de zéro.

À l'époque, la technologie israélienne était déjà reconnue à l'international. Et s'il faut pointer un responsable, c'est la fondation BIRD - pour Binational Industrial Research and Development Foundation - qu'il faut désigner.

«BIRD est une agence de rencontres», dit l'homme qui la dirige aujourd'hui, Eitan Yudilevich.

Fondée en 1977, BIRD unit typiquement deux prétendants: une boîte techno israélienne qui planche sur une technologie précoce, et une entreprise américaine qui a déjà commercialisé des produits et qui cherche de nouvelles découvertes.

Si les deux entreprises définissent un projet commun qui plaît à BIRD, la fondation en finance jusqu'à 50% des coûts de R&D.

À l'époque, l'idée était de permettre aux produits israéliens d'accéder au marché américain. M. Yudilevich croit cependant que le programme a fait beaucoup plus.

«BIRD a branché les entrepreneurs locaux sur l'expertise américaine, leur enseignant comment concevoir des produits qui ont des chances de se vendre», dit-il.

Depuis, d'autres programmes similaires ont été lancés, dont un avec le Canada. Nul doute, cependant, que c'est le volet américain qui a eu le plus grand impact. En associant de petites boîtes israéliennes avec des géants comme ADM, General Electric ou Texas Instruments, BIRD a financé plus de 800 projets qui ont accouché de produits dont les ventes dépassent aujourd'hui les 8 milliards US.

Et selon M. Yudilevich, le programme est plus nécessaire que jamais.

«Israël, aujourd'hui, n'a aucun monopole sur l'innovation. Si vous n'avez pas d'incitatif, les multinationales vont dire: Israël, c'est dangereux. Allons donc en Chine, il y a un boom, là-bas. BIRD est l'appât qui permet de les attirer.»