Après le rachat de Cadbury par Kraft, une nouvelle page de l'histoire de l'industrie alimentaire britannique s'est tournée jeudi, avec la cession à un américain de la division sucre de Tate & Lyle, qui avait fait la fortune et la renommée de ce groupe emblématique.

Le groupe agroalimentaire britannique a annoncé dans un communiqué avoir vendu à son rival American Sugar Refining l'ensemble de ses activités de raffinage de sucre en Europe, pour 211 millions de livres (337 millions de dollars CAN).

Elles comprennent des raffineries de canne à sucre situées à Londres et Lisbonne, ainsi que l'usine londonienne qui fabrique l'emblématique Golden Syrup, un sirop de sucre roux, et l'ensemble des marques associées.

Le groupe britannique a ajouté qu'il avait l'intention de se délester du reste de sa division sucre (mélasse, production de sucre au Vietnam).

Après que Kraft se soit emparé en février de Cadbury pour 13 milliards d'euros (environ 17 milliards de dollars CAN), ce qui avait suscité beaucoup d'émoi au Royaume-Uni, c'est un nouveau pan emblématique de l'industrie britannique qui passe sous pavillon américain.

Tate & Lyle a justifié la vente de ses bijoux de famille par la volonté de développer des activités plus lucratives: la fabrication de ces ingrédients spéciaux aux noms barbares (maltodextrine, polydextrose...) qui font le bonheur des industriels de l'alimentation, et celle de faux sucre, portée par la mode des aliments diététiques.

«Le raffinage de sucre a vécu une longue et fière histoire au sein de Tate & Lyle, mais nous pensons que les intérêts de cette activité seront mieux défendus au sein d'un groupe dont c'est le coeur de métier», a justifié le patron du groupe britannique, Javed Ahmed.

Le groupe, qui emploie aujourd'hui près de 5 700 personnes et réalise un chiffre d'affaires annuel de 4,3 milliards d'euros, tient ses origines de deux industriels victoriens, Henry Tate, fils d'un ecclésiastique de Liverpool, et Abram Lyle, un écossais travaillant dans le commerce maritime, qui s'étaient lancés tous les deux dans le sucre à la fin du 19ème siècle.

À Tate, on doit d'avoir lancé en Grande-Bretagne une invention révolutionnaire, le sucre en morceaux, tandis que Lyle fut le premier à fabriquer un sirop de sucre à partir de mélasse, le Golden Syrup. Leurs deux entreprises ont fusionné en 1921 pour former Tate & Lyle.

Henry Tate est resté dans l'histoire un des plus grands bienfaiteurs et mécènes britanniques. Il a fondé entre autres la Tate Gallery, ancêtre de deux des plus célèbres musées londoniens, la Tate Modern et la Tate Britain.

Le Golden Syrup d'Abram Lyle est quant à lui devenu un pilier de la gastronomie britannique. Ce sirop de sucre inverti constitue la base d'un grand nombre de desserts typiquement «british», comme la treacle tart (tarte à la mélasse), ou le sticky toffee pudding.

Son emballage fait partie du patrimoine britannique. Le sirop de couleur ambrée est vendu depuis 1885 dans des boîtes de conserve en étain, dont le décor vert et or est resté pratiquement inchangé. Elles arborent un lion mort entouré d'un essaim d'abeilles, flanqué de la devise «Out of the strong came forth sweetness» («Du fort est sorti le doux»), une allusion à une scène de la bible, rappelant les convictions religieuses d'Abram Lyle.

Cela a valu au Golden Syrup d'être sacré il y a trois ans marque la plus ancienne du Royaume-Uni par le livre Guinness des records.

Et, depuis l'époque de la reine Victoria, sa popularité ne s'est pas démentie : plus d'un million de boîtes de sirop ambré sortent chaque mois des portes de l'usine londonienne de Plaistow.