Sous haute sécurité, le siège social de Wiphold, rue Central, ne détonne pas avec le richissime quartier de Houghton, où réside Nelson Mandela. De grands arbres ombragent cet édifice de construction récente agrémenté de fontaines et de plans d'eau. À l'intérieur, les grandes dalles de pierre anthracite, les tapis persans et les murs blancs ornés de peintures contemporaines donnent à cette petite firme d'investissements les allures d'une galerie d'art.

Une assistante conduit, au pas militaire, les visiteurs au bureau de la PDG. Avec son tailleur carmin et ses bijoux ornés de diamants et d'améthystes d'une taille inimaginable, Louisa Mojela est l'image même du succès. Avec toutes les indignités, petites et grandes, que cette dirigeante noire de 54 ans a endurées, elle ne s'en excusera pas.

«Il a fallu attendre la nouvelle constitution, en 1996, pour que les femmes aient le droit de signer un contrat, dit-elle. Auparavant, nous étions encore considérées comme des mineures!»

De la cuisine de la succursale de la United Bank de Carletonville, où Louisa Mojela était reléguée au début de sa carrière, cette diplômée en administration de l'Université du Lesotho a gravi les échelons du secteur financier. Elle était gestionnaire responsable des marchés émergents à la Standard Corporate&Merchant Bank lorsque l'Afrique du Sud a tenu ses premières élections démocratiques, en 1994.

C'est à cette époque qu'un cadre du Congrès national africain (ANC, au pouvoir depuis 16 ans) lui a parlé des occasions d'affaires qui se présenteraient aux entrepreneurs noirs avec la fin de l'apartheid.

Louisa Mojela n'a fait ni une ni deux. Elle s'est associée avec une collègue spécialisée en financement d'entreprises, Gloria Serobe, avec une ex-camarade d'université, Wendy Luhabe, et avec une connaissance, Nomhle Gcabashe. Ces quatre femmes ont fondé Wiphold (Women Investment Portfolio Holdings) avec 500 000 rands, soit près de 70 000$ amassés à droite et à gauche.

«On s'est dit que, comme femmes, si on ne faisait rien, les occasions ne viendraient pas à nous», raconte Louisa Mojela.

Par et pour les femmes

Au départ, elles ont investi dans les industries du tourisme, des télécommunications et des services financiers, trois industries où les femmes sont largement représentées, soit comme clientes, soit comme travailleuses. «L'idée, c'était de transformer notre pouvoir d'achat en occasion d'affaires», dit-elle.

Car Wiphold est une société de femmes pour les femmes. Par l'entremise de deux trusts qui contrôlent 32,5% des actions de la firme, les dirigeantes ont donné des actions à quelque 18 000 femmes de même qu'à une dizaine d'ONG qui oeuvrent auprès de femmes et d'enfants. C'est d'ailleurs parce que la firme ne pouvait plus s'assurer que ses actions restaient aux mains de femmes que Wiphold a quitté, en 2003, la Bourse de Johannesburg, où ses actions se négociaient depuis six ans. Environ la moitié des actions de l'entreprise sont aujourd'hui détenues par des femmes noires.

L'entreprise privatisée ne dévoile plus ses résultats ou la valeur de son actif. Invitée au capital de grandes entreprises sud-africaines à titre d'actionnaire en vertu du programme du Black Economic Empowerment (BEE), Wiphold est fortement présente dans l'industrie financière, avec des participations dans les groupes Old Mutual, Nedbank et Mutual Federal, entre autres.

L'intérêt de Wiphold s'est aussi étendu aux infrastructures et aux ressources. Wiphold a investi dans la société minière Sasol. La firme a aussi lancé une coentreprise avec une société d'État chinoise pour importer du ciment en Afrique du Sud, son premier investissement à titre d'opérateur.

Wiphold a eu la main heureuse, s'il faut en croire Louisa Mojela. Depuis 2000, ses investissements lui ont permis de verser aux ONG et aux milliers de femmes bénéficiaires des deux trusts des dividendes totalisant 67 millions de rands, soit 9,2 millions de dollars.

«Pour se conformer à l'esprit de la réforme, il faut s'assurer que la richesse soit partagée et non pas qu'elle reste aux mains d'une poignée de riches», dit cette dirigeante, selon qui la réforme du BEE est la meilleure chose que l'Afrique du Sud pouvait entreprendre.