C'est toujours fortement improbable, mais plus complètement impensable. La dislocation de la zone euro, qui relevait jusqu'à une époque très récente du domaine de la théorie économique et du rêve de quelques eurosceptiques grincheux, devient une hypothèse de plus en plus réelle, sous la pression toujours croissante de la crise de la dette née en Grèce.

Il y a seulement quelques semaines, un scénario de dislocation a été évoqué: il passerait par l'expulsion ou le départ éventuels de pays comme la Grèce et le Portugal qui ne peuvent pas empêcher leurs dettes d'affaiblir les pays de la zone euro.

Mais maintenant, les marchés commencent à s'inquiéter pour les États-membres importants: est-ce que l'Allemagne et la France ne pourraient pas également être tentés par une sortie de l'euro?

La création de la monnaie unique en 1999 a couronné un rêve historique d'intégration européenne né du conflit de deux guerres mondiales. Davantage qu'un simple instrument financier, l'euro est devenu le symbole de coopération et d'harmonie européennes, sans lequel il serait difficile d'imaginer l'Europe d'aujourd'hui.

Ce tabou vacille soudain alors que la crise de la dette menace l'Union européenne. De plus en plus de gens se demandent, non seulement si une nation pourrait abandonner l'euro, mais si l'euro ne pourrait pas tout simplement disparaître.

«Je pense que c'est très, très improbable à court terme», estime Marco Annunziata, chef économiste du groupe italien Unicredit, établi à Londres. «Mais je pense que ce qui devient de plus en plus évident, c'est que la zone euro dans son état actuel ne fonctionnera pas», ajoute-t-il.

Les tentations de partir sont évidentes pour de petits membres de la zone euro lourdement endettés. La Grèce, proche de la faillite, pourrait immédiatement rétablir sa compétitivité commerciale en revenant à la drachme, et en la laissant dévaluée, au lieu du processus dangereux actuel qui passe par une réduction des salaires et des prix pendant des années. Une telle mesure pourrait aussi être envisagée par un membre plus important.

Dans le cadre d'un tel scénario, l'Allemagne, qui en a assez d'avoir à assumer les dettes des pays les moins économes, et mécontente d'une politique monétaire plus souple de la Banque centrale européenne (BCE), pourrait vouloir reprendre son autonomie financière fondée sur sa propre discipline fiscale et sur la crédibilité historique de sa banque centrale, la Bundesbank.

Dans tous les cas, le coût du démantèlement de la zone euro - qui représente le deuxième marché du monde - pourrait être très élevé. Les pays plus faibles seraient confrontés immédiatement à une instabilité financière. Les rendements des emprunts d'État augmenteraient, rendant la dette plus coûteuse. On en a eu un avant-goût la semaine dernière quand l'euro a dégringolé à la suite de rumeurs - vite démenties - selon lesquelles la France envisageait un retour au franc.

Reformater les ordinateurs et changer les distributeurs automatiques de billets ne serait que le début d'un processus, suggérait Barry Eichengreen, économiste à l'Université de Californie, à Berkeley, dans un article publié en 2007, intitulé «La dislocation de la zone euro».

Une fois que les investisseurs sentiront la probabilité du départ d'un pays, ils se précipiteront vers la sortie pour éviter de voir leurs avoirs en euros convertis et dévalués, provoquant un effondrement financier. Et ce ne serait pas la fin, car un transfuge pourrait s'exposer à des représailles politiques d'autres membres de l'Union européenne, furieux.

Un pays important qui s'en irait réduirait l'échelle du marché de l'euro, poussant peut-être d'autres pays à reconsidérer les coûts et les bénéfices de la perte de leur propre monnaie, et menant à une dislocation générale.

Certains ont évoqué l'idée d'un départ temporaire de certains pays dans l'objectif de rééquilibrer l'économie européenne.

Edward Hugh, économiste indépendant établi à Barcelone, affirme qu'il pourrait imaginer une sortie de l'Allemagne de la zone euro pour une courte période, de quelques années, afin de permettre aux économies du Sud de dévaluer leurs monnaies et rétablir leur compétitivité. «L'Espagne a besoin d'une dévaluation d'urgence (...) La Grèce aussi, le Portugal aussi», juge-t-il.

Une dislocation, si elle survenait, risquerait toutefois de ne pas se faire à l'amiable et de manière ordonnée, souligne pour sa part Daniel Gros, du Centre d'études politiques européennes (CEPS) à Bruxelles. «Les marchés sont si intégrés que cela conduirait à une catastrophe partout si vous essayez de démanteler la zone euro», prévient-il.