Les appels d'économistes se multiplient contre le «zèle» des gouvernements européens en matière d'austérité, jugé doublement dangereux: pour la reprise encore vacillante du Vieux Continent, et pour sa crédibilité, les engagements trop stricts s'annonçant difficiles à tenir.

Si l'Europe met en oeuvre «un plan coordonné d'austérité», «elle court au désastre», avec une croissance en berne et une nouvelle flambée du chômage à la clé, met en garde le prix Nobel Joseph Stiglitz.

Le Fonds monétaire international (FMI), tout en prônant l'assainissement des finances publiques plombées par la crise, tire aussi la sonnette d'alarme. Pour son chef économiste Olivier Blanchard, «le risque est en l'occurrence que, sous la pression des marchés, certains pays fassent du zèle dans l'austérité».

«Il n'est pas écrit dans le marbre qu'il faille absolument qu'en 2012 ou en 2013 on soit revenu à 3%» de déficit public par rapport au PIB, comme l'exige Bruxelles, a d'ailleurs prévenu le patron du FMI Dominique Strauss-Kahn.

Les annonces de plans plus ou moins draconiens se sont succédées ces dernières semaines, d'Athènes à Madrid en passant par Paris. Dernier en date, le nouveau gouvernement britannique a présenté lundi un premier programme de 7,2 milliards d'euros de coupes dans les dépenses publiques.

Cela n'a pas suffi à rasséréner les marchés.

«Les plans d'austérité sont tellement forts que s'ils sont mis en oeuvre, et simultanément dans toute l'Europe, l'impact sur la croissance non seulement européenne mais possiblement dans le reste du monde pourrait créer un frein sérieux à la reprise», décrypte Laurence Boone, de Barclays Capital.

Selon elle, la zone euro représentant 22% du PIB mondial, les échanges internationaux risquent de souffrir du tour de vis européen, d'autant que la crise «a montré que le canal de transmission par les effets de confiance est important».

«En Grèce, il était devenu nécessaire de réduire les dépenses et cela peut même libérer la croissance», estime Andrew Scott, professeur à la London Business School. En revanche, ailleurs, «l'ajustement peut être beaucoup plus progressif, il ne faut pas en faire trop maintenant tout en annonçant un plan sur cinq ou dix ans».

D'ailleurs, selon Elie Cohen, du Centre national de recherche scientifique (CNRS) français, les seuls plans «vraiment drastiques» ont pour l'instant été présentés par la Grèce, l'Espagne et le Portugal. «Bien que désagréables, ces plans sont justifiés», assure-t-il.

D'autres pays, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Autriche, «n'ont aucune raison de prendre des mesures de rigueur» et «il ne faudrait pas qu'il y ait une espèce de contagion perverse qui les pousse à le faire», avertit Elie Cohen.

La question est plus délicate pour la France ou le Royaume-Uni.

«Les gouvernements de ces pays annoncent des mesures présentées comme courageuses pour rassurer les marchés. Mais dans les faits, ces mesures ne sont pas aussi courageuses qu'ils le laissent entendre», constate Andrew Scott. «Pour l'instant, les mesures annoncées sont homéopathiques par rapport à leur dette et leur déficit considérables», renchérit Elie Cohen.

Surtout, les objectifs affichés ne sont ni justifiés ni tenables.

«Cela n'a pas de sens de se concentrer uniquement sur l'objectif d'un déficit à 3% du PIB», souligne Andrew Scott, rappelant que les comptes ont dérapé surtout en raison de la crise.

Pour Elie Cohen, «mieux vaut des engagements étalés mais réalistes et tenables que des promesses forcenées qu'on ne tiendra pas et qui du coup aggraveront la crise». Car le vrai risque est à ses yeux que la crédibilité des pays ne soit «entachée» par le non respect des promesses, ce qui relancerait inévitablement la crise de défiance que traverse la zone euro.