Au coeur de Lisbonne se dresse, sur une place aux dimensions staliniennes, une statue du marquis de Pombal accompagné d'un lion symbolisant sa puissance.

L'homme d'État est demeuré dans les mémoires ici pour avoir chapeauté la reconstruction de la ville à la suite d'un tremblement de terre qui a fait des dizaines de milliers de victimes, au milieu du XVIIIe siècle.

Deux siècles et demi plus tard, le séisme est financier. Et il est loin d'être clair que le flamboyant premier ministre du pays, Jose Socrates, maîtrise aussi bien la situation que l'illustre marquis.

Le dirigeant socialiste a encore une fois dénoncé, il y a quelques jours, les «attaques spéculatives» lancées contre son pays, dont la dette venait d'être décotée. Mais il s'est empressé, du même souffle, d'annoncer que son gouvernement accélérerait l'introduction de mesures d'austérité prévues dans un plan de «stabilisation et de croissance».

Le plan en question a été au coeur de la manifestation traditionnelle tenue samedi dans la capitale pour marquer la Journée internationale des travailleurs du 1er mai.

Guida Pereira, femme de 62 ans qui incarnait une chômeuse sur un char où un homme richement vêtu se frottait la panse, en avait beaucoup à dire au gouvernement. «Ils devraient s'occuper des pauvres et des emplois plutôt que de veiller uniquement aux intérêts des capitalistes», a-t-elle relevé.

Ras le bol

Un autre char montrait des tireurs du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Union européenne prenant pour cible le Portugal.

«C'est le bon moment de se rappeler la Révolution et de souligner que nous sommes insatisfaits de ce qui se passe», a déclaré Maria Arlete de Brito, qui a distribué des oeillets rappelant la chute, il y a 30 ans, du dictateur Antonio de Oliveira Salazar.

Les travailleurs de la fonction publique figuraient en grand nombre parmi les manifestants. Selon Ana Aveila, coordonnatrice du Front commun des syndicats de la fonction publique, la décision du gouvernement de geler les salaires et de sabrer les effectifs est très mal reçue.

«Les gens en ont ras le bol. Et ils sont prêts à se battre», a-t-elle assuré à La Presse à la veille de la journée de manifestation.

Malgré les déclarations musclées de la syndicaliste, l'atmosphère a été résolument bon enfant dans le défilé, exempt de tout incident violent. Et le nombre de participants a été sensiblement inférieur aux objectifs avancés.

Un employé d'une boutique de luxe située sur l'avenue de la Liberté, où ont marché une partie des manifestants, pense que les Portugais ont trop l'habitude des crises. «C'est comme ça depuis la Révolution, il y a 30 ans. Plus personne ne s'en émeut», a-t-il dit.

Myriam, journaliste au chômage, ne comprend pas que la population ne réagisse pas plus énergiquement.

«Il me semble que les gens se font avoir... Il faudra bien que tout ça s'arrête à un moment ou un autre», a dit la femme de 40 ans, qui peine à joindre les deux bouts.

Au point de refuser à un ami, qui a interrompu l'entrevue, un peu de crème solaire. «Le tube coûte 20€, ce qui est beaucoup d'argent pour moi. Il doit durer pour moi et mes deux enfants jusqu'à la fin de juin», a-t-elle expliqué, un peu gênée.



Ménages endettés


Comme Myriam, nombre de Portugais croulent sous les dettes. «Les gens ont acheté à crédit des voitures qu'ils n'ont pas payées, des maisons qu'ils n'ont pas payées, des biens qu'ils n'ont pas payés et on leur disait que tout allait bien se passer. Mais ce n'est pas ce qui arrive», a-t-elle dit.

Pedro Sousa Carvalho, directeur adjoint de Diario Economico, principal quotidien économique du pays, a souligné que le Portugal «a passé une décennie à dépenser ce qu'il n'avait pas».

Malgré tout, la dette et le déficit n'atteignent pas les sommets observés en Grèce et ne justifient pas les parallèles établis avec ce pays, a-t-il indiqué.

«Notre véritable problème est que la croissance projetée de l'économie est très faible pour les années à venir, ce qui complique le financement de la dette», a noté le journaliste.

Comme la Grèce ?

Pedro Braz Teixeira, économiste proche de l'opposition, pense qu'une part beaucoup trop importante de la dette est détenue à l'étranger, ce qui rend le pays plus fragile aux mouvements spéculatifs.

Contrairement à M. Carvalho, il ne croit pas que la conclusion d'une entente de financement de la dette entre la Grèce, l'Union européenne et le FMI signifie que le Portugal sera à l'abri d'une crise d'envergure.

Les tiraillements ayant mené au plan de sauvetage qu'a annoncé Athènes hier illustrent clairement que l'Allemagne sera réticente à réitérer une telle intervention. «Les Allemands en ont assez de se faire présenter la facture», a dit M. Braz Teixeira.

Miguel Magalhaes, artiste croisé dans la vieille ville de Lisbonne, préfère prendre tous ces remous avec détachement. Notamment, a-t-il dit, parce que le Portugal restera, quoi qu'il advienne, un pays privilégié sur le plan économique.

«De toute façon, ce n'est pas une bonne manière de vivre de se remplir la tête de choses sur lesquelles on n'a pas de maîtrise, a-t-il dit, avant de se replonger dans un croquis.