Le Japon tournera bientôt une des pages les plus glorieuses de son histoire en cédant à la Chine son titre de deuxième économie mondiale conquis il y a 42 ans, une perspective accueillie avec résignation par les Nippons, mais aussi avec une certaine inquiétude.

L'économie japonaise s'est contractée de 5,0% en 2009 tandis que la chinoise a crû de 8,7%. Malgré cela, le Japon a conservé une légère avance, avec un produit intérieur brut (PIB) nominal de 5.085 milliards de dollars contre 4900 milliards pour la Chine, selon des statistiques japonaises publiées lundi.

La plupart des économistes prédisent que le Japon, dont l'économie arrivée à maturité stagne et dont la population diminue rapidement, sera dépassé en 2010 ou 2011 par son voisin émergent aux 1,3 milliard d'habitants.

«D'une manière générale, nous nous réjouissons de la croissance de la Chine et de l'Asie», a déclaré le ministre nippon des Finances Naoto Kan.

Mais, a ajouté cet homme politique de 63 ans, «le Japon a longtemps été appelé deuxième puissance économique du monde. Pour être honnête, pour ma génération, celle des gens qui ont grandi au Japon pendant l'ère de la forte croissance, il est plutôt triste de concéder ce titre à la Chine».

Pour Takashi Okamura, président de la Chambre de commerce du Japon et ancien patron du conglomérat Toshiba, le Japon aurait tort de vivre sur son passé. L'essor de la Chine est inexorable et «le Japon doit cesser immédiatement de s'identifier comme la deuxième économie mondiale», a-t-il affirmé.

Selon un sondage publié en novembre par le quotidien Yomiuri Shimbun, 29% des Japonais pensent que leur pays profitera de la montée en puissance de la Chine, contre 31% qui estiment qu'elle nuira à l'archipel.

Et 69% affirment qu'«on ne peut pas faire confiance à la Chine», l'ancien ennemi de la seconde guerre mondiale qui reste un rival en matière géopolitique et dans la course mondiale vers l'énergie et les matières premières.

Dans un récent éditorial, le grand quotidien économique japonais Nikkei a exhorté la Chine à tenir son futur rang de première économie d'Asie en respectant les droits de l'Homme, la propriété intellectuelle et la sécurité du consommateur, et en luttant contre le réchauffement climatique.

«Le vigoureux développement de la Chine crée des opportunités pour le Japon et le reste de l'Asie. Mais nous ne devrons pas fermer les yeux si la Chine ignore ses responsabilités» de leader de la région, a-t-il averti.

Par bien des aspects, la situation actuelle de la Chine rappelle celle du Japon lorsqu'il avait, en 1968, ravi à l'Allemagne de l'ouest le titre de deuxième économie du monde. L'exploit du Japon, réalisé grâce aux succès de son secteur exportateur, avait forcé le respect mondial. Mais il avait aussi engendré de vives tensions commerciales, alimentées par des accusations de sous-évaluation du yen, ainsi que de sérieux problèmes de pollution.

Puis, l'éclatement à la fin des années 1980 d'une gigantesque bulle spéculative immobilière et boursière avait précipité le Japon dans une stagnation dont il ne s'est jamais vraiment remis.

Les Japonais peuvent se consoler en se disant qu'ils vivent dans un pays stable et démocratique, qui demeure un géant en matière d'innovation, et dont le revenu par habitant reste très supérieur à celui de la Chine.

«Aucun pays au monde n'est le numéro un dans tous les domaines», philosophe Wang Min, professeur de relations internationales à l'université japonaise Hosei. Selon cette experte chinoise, le Japon doit avant tout chercher à enrayer son déclin démographique, qui menace sa prospérité à long terme.

«Ce qui est important, ce n'est pas comment les autres changent, mais comment vous changez vous-même», estime-t-elle.