Le visage du cheikh Mohammed, le leader de Dubaï, est placardé partout en ville sur des panneaux géants depuis son accession à la présidence en 2006. Mais un deuxième portrait apparaît de plus en plus souvent à ses côtés sur les affiches: celui du président d'Abou Dhabi.

Cette nouvelle imagerie n'a rien de symbolique. L'aide financière de 20 milliards US consentie par la riche capitale Abou Dhabi pour sortir Dubaï du pétrin a un prix. Et il est d'abord politique. L'autonomie de Dubaï tire à sa fin, selon plusieurs experts.

«Abou Dhabi ne veut plus que Dubaï prenne de décisions sans obtenir d'abord l'autorisation du gouvernement central», résume Hani Sabra, analyste au Eurasia Group et spécialiste de la région.

Dubaï, la vedette des sept territoires qui forment les Émirats arabes unis, a joui d'une vaste liberté depuis la fondation du pays en 1971. La ville-État a maintenu une armée séparée de celle d'Abou Dhabi jusqu'en 1996, et elle a investi à sa guise dans des centaines de mégaprojets immobiliers pendant le boom fulgurant des années 2000.

Cette progression a stoppé net avec la crise financière de l'automne 2008. Puis les choses ont empiré: il y a deux mois, le conglomérat Dubai World - qui chapeaute la plupart des entreprises immobilières de l'État - a demandé à ses créanciers un délai de six mois pour rembourser ses prêts.

Abou Dhabi a allongé 10 milliards US à la mi-décembre pour secourir son voisin, après avoir déjà injecté une somme similaire en février 2009. D'autres milliards pourraient suivre cette année.

Les termes de l'entente entre les deux émirats demeurent confidentiels. Mais les portraits géants placardés partout en ville, tout comme le changement de nom du gratte-ciel Burj Dubai à la dernière minute (renommé Burj Khalifa en l'honneur du leader d'Abou Dhabi, le cheikh Khalifa ben Zayed ben Sultan Al Nahyan), indiquent que plus rien ne sera comme avant.

Et l'Iran?

Au-delà de ces changements visibles, plusieurs analystes estiment que Dubaï devra aussi modifier sa politique étrangère à l'égard de l'Iran, plus favorable que celle de la majorité des pays industrialisés. Et resserrer les contrôles autour des capitaux qui transitent par les banques iraniennes installées sur son territoire.

«Dubaï ne veut cesser ses relations avec l'Iran sous aucun prétexte, mais elle subit des pressions énormes d'Abou Dhabi et des États-Unis pour les réduire», dit Jim Krane, auteur du livre City of Gold: Dubai and the Dream of Capitalism.

«La possibilité de sanctions internationales contre l'Iran augmentera en 2010, et cela représentera une occasion pour Abou Dhabi de limiter l'influence iranienne à Dubaï», avance pour sa part Hani Sabra.

Morteza Masoum Zadeh, porte-parole du Iranian Business Council, qui représente quelque 8300 entreprises à Dubaï, affirme n'avoir «pas du tout» ressenti de pressions sur la communauté d'affaires iranienne. «Je ne crois pas qu'il y ait de fondement à cela», a-t-il dit, visiblement mal à l'aise devant les questions de La Presse Affaires.

Quoi qu'il en soit, personne ne s'attend à ce que la relation entre Dubaï et Abou Dhabi ne tourne trop au vinaigre. Les cheikhs Mohammed et Khalifa sont frères, liés par le sang. Qui détestent par-dessus tout une chose: perdre la face en public.