Mohammed Shebaz est en congé aujourd'hui, mais il est loin de relaxer. Comme des milliers de ses confrères, ce travailleur de la construction pakistanais vit sur la corde raide depuis la dernière année. Le stress ne le quitte jamais.

«La plupart de nos amis sont repartis, on a peur de perdre nos emplois, la compagnie peut annuler nos contrats à n'importe quel moment», dit le plombier de 23 ans, qui gagne 220$CAN par mois pour besogner six jours sur sept sur les chantiers de Dubaï.

Quelque 400 projets immobiliers totalisant 300 milliards US ont été abandonnés ou reportés depuis l'automne 2008, selon la firme Proleads. Les travailleurs « migrants », comme on les appelle ici, font directement les frais de cet écroulement du marché.

La Presse en a rencontré une dizaine à l'entrée du camp de Sonapur, en banlieue de Dubaï. Dans ce quartier clôturé, situé en bordure d'une autoroute, ces hommes s'entassent à plusieurs dans de petites chambres et mangent souvent à même le sol.

Au moment de notre visite, les ouvriers profitaient de leur seule journée de congé hebdomadaire -le vendredi- pour jouer au cricket.

En plus de vivre dans l'angoisse constante de perdre leur boulot, plusieurs travailleurs ont indiqué qu'ils devaient maintenant payer leur nourriture, auparavant fournie sans frais par leurs employeurs.

«L'entreprise a changé ses politiques», dénonce Amir Shazhed, un opérateur de machines pakistanais de 25 ans qui roule sa bosse ici depuis cinq ans.

Comme le prix de plusieurs aliments a grimpé depuis un an, la situation des migrants est encore plus précaire.

«Avant, la farine coûtait seulement 10 dirhams (2,90$CAN) pour un sac, maintenant c'est 20 dirhams, déplore Emran, un mécanicien de grues qui gagne 350$ par mois. Le Pepsi coûtait 50 fils (15 cents) pour une canette, maintenant c'est le double.»

D'autres travailleurs disent aussi ne pas avoir reçu leur paie depuis des mois.

«Ils ont dit qu'ils allaient payer le 10 du mois, mais ils disent cela à chaque fois et ne paient jamais», affirme Sofiunah, un ouvrier du Bangladesh qui n'a pas reçu son salaire depuis cinq mois.

Conditions difficiles

Ce revirement de l'industrie de la construction est venu empirer les conditions de vie des dizaines de milliers de travailleurs migrants, déjà très difficiles dans bien des cas.

Pour venir à Dubaï, ces hommes peu éduqués de l'Inde, du Bangladesh, du Pakistan et des Philippines doivent la plupart du temps payer entre 2000$ et 4000$US à des passeurs dans leurs pays d'origine. Avec de l'argent emprunté.

Une fois sur place, leurs passeport sont saisis et ils doivent travailler jusqu'à ce qu'ils aient fini de rembourser leur dette. La majorité d'entre eux font vivre plusieurs membres de leur famille grâce à leurs maigres revenus.

Avant que la crise éclate, ces hommes pouvaient faire un salaire décent - selon les standards de leurs coins de pays - grâce aux nombreuses heures supplémentaires rendues nécessaires par le boom immobilier. Une époque révolue.

«Avant on pouvait travailler entre 15 et 25h de temps supplémentaire par semaine, maintenant, c'est 8h ou 9h... lorsqu'il y en a», dit Emran.

Akabbr, un tout petit homme de 38 ans qui paraît en avoir 60, ne fait plus du tout d'heures supplémentaires. Il empoche 130$ CAN par mois pour son boulot de maçon, dont les deux tiers vont à sa famille au Bangladesh. Son regard est triste.

«J'ai l'impression d'avoir fait une erreur en venant ici, confie-t-il. Mais je dois rester ici jusqu'à ce que j'aie fini de rembourser mon prêt. Je regrette vraiment.»

Impossible de savoir combien de travailleurs migrants ont quitté Dubaï au cours de la dernière année. Les autorités gouvernementales estiment que la population totale a crû de 7,5% l'an dernier à Dubaï, à 1,8 million, tandis que la firme UBS parle d'un recul de 8%.

Selon Samer Muscati, chercheur pour l'organisme Human Rights Watch aux Émirats arabes unis, « des dizaines de milliers» sont retournés dans leur pays.

«On n'a pas de chiffres, car plusieurs travailleurs qui sont partis ont encore leurs visas, explique-t-il à La Presse. Ils sont comme sur appel en attendant que la situation s'améliore.»

D'après M. Muscati, la crise de la dernière année est venue balayer une bonne partie des progrès qui avaient été faits depuis deux ou trois ans, notamment dans les conditions de logement des travailleurs.

«C'est dur pour ceux qui restent, car ils sont encore plus vulnérables qu'ils ne l'étaient», dit-il.