Le gouvernement anglais a donné suite à ses menaces hier en annonçant que les banques versant des primes trop importantes à leurs employés seront exceptionnellement frappées cette année par une taxe spéciale.

Le ministre des Finances, Alistair Darling, a confirmé la mesure hier en présentant le projet de budget du pays, qui prévoit renouer avec la croissance sous peu après une longue récession.

Plutôt que de cibler directement ceux qui reçoivent les primes, tout de même touchés par une récente hausse du taux supérieur d'imposition pour les particuliers, Londres a décidé de cibler les banques elles-mêmes.

Les primes supérieures à 25 000 livres (environ 40 000$) seront additionnées et ultimement frappées d'une taxe de 50% qui devrait générer cette année des revenus d'un demi-milliard de livres (850 millions $).

«Toutes les banques ont profité directement ou indirectement de notre aide», a souligné M. Darling pour justifier la taxe, qui déplaît souverainement aux puissants acteurs de la City.

Au cours des derniers jours, banquiers et négociants ont manifesté leur indignation face à la taxe projetée, arguant qu'elle risque de provoquer un exode des gestionnaires les plus doués vers d'autres centres financiers.

La présidente de l'association des banquiers, Angela Knight, a déclaré, en réponse à des fuites de presse ayant précédé le budget, qu'une taxe spéciale sur les primes serait «populiste» et «politique».

«C'est peut-être une idée populaire d'imposer des taxes très élevées à quelques banquiers, mais il faut penser à l'image que nous donnerons sur la scène internationale», a-t-elle déclaré, en insistant sur le fait que le secteur bancaire soutenait un million d'emplois en Grande-Bretagne.

Le président de Barclays, Robert Diamond, un des gestionnaires les plus en vue de la City, a aussi évoqué un possible exode. «Tant le capital financier que le capital humain est très mobile», a-t-il prévenu, en reprenant une menace qui ne semble guère émouvoir le ministre des Finances anglais.

Alistair Darling avait prévenu cette semaine qu'il était hors de question que le gouvernement soit «pris en otage par des gens qui pensent pouvoir verser des primes incroyablement élevées sans égard à ce qui se passe ailleurs (dans la société)».

L'opinion est largement partagée par la population anglaise, qui s'irrite de voir les grandes institutions bancaires renouer avec les profits faramineux et préparer des primes pour leurs employés un an à peine après avoir été renfloués à coups de milliards par l'État.

Le Parti conservateur, donné favori en vue des prochaines élections législatives, a critiqué l'annonce de la taxe comme une mesure électoraliste, mais s'est bien gardé de la désavouer.

«En temps normal, je crois que le système de taxation doit être simple et prévisible et donner confiance aux gens. Mais nous vivons une période exceptionnelle. Il n'est pas acceptable que de l'argent des contribuables soit injecté dans les banques et ressorte sous forme de primes», a déclaré le chef de la formation, David Cameron.

Même le Financial Times, connu pour ses prises de position ultralibérales, a indiqué qu'une telle mesure était appropriée dans les circonstances.

«Les profits actuels des banques découlent non pas du talent de leurs gestionnaires, mais de l'accès à des prêts gratuits offerts par les banques centrales et aux aides indirectes fournies par des gouvernements qui ne voulaient pas laisser tomber les grandes institutions financières. Ces profits servent l'intérêt public s'ils sont utilisés pour améliorer la capitalisation des banques, et non pas s'ils finissent dans les portefeuilles des banquiers», souligne le quotidien en page éditoriale.

Le journal estime cependant que la compétitivité de la City serait mieux défendue si les autres pays membres du G20 adoptaient une mesure similaire. Ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle, plusieurs États se contentant d'imposer des règles qui visent à étaler le versement des primes sur plusieurs années pour rendre les gestionnaires plus sensibles à la performance à long terme des entreprises.

Il reste maintenant à voir si le gouvernement anglais réussira à faire appliquer la taxe. Le Daily Mail rapportait hier que plusieurs banques ont entrepris au cours des dernières semaines de revoir le statut des employés concernés par les primes ou d'augmenter temporairement leurs salaires de manière à majorer leur rémunération tout en contournant la ponction souhaitée par Londres.

Selon une récente étude du Center for Economics and Business Research, les primes des banquiers anglais devraient normalement atteindre 6,6 milliards d'euros (11 milliards de dollars) en 2009, en hausse de 50% par rapport à l'année précédente.