Les chambres fortes de la société Credito Emiliano renferment un bien très prisé des gourmets partout dans le monde, soit pas moins de 17 000 tonnes de fromage parmesan.

C'est que cette banque régionale italienne accepte le parmesan à titre de bien en garantie pour les prêts qu'elle consent, ce qui contribue à continuer de financer les producteurs de fromage du nord de l'Italie tandis que sévit la pire récession depuis la Deuxième Guerre mondiale. Credito Emiliano, dont le siège se trouve près de Bologne, en Émilie-Romagne, dispose de deux entrepôts à atmosphère contrôlée où se trouvent environ 440 000 meules d'une valeur de 132 millions d'euros (204 millions de dollars).

 

«Ce système est vital pour nous», explique Giuseppe Montanari, 65 ans, producteur de fromage et négociateur qui utilise les prêts pour acheter du lait. «C'est une manière formidable de financer nos dépenses à des taux raisonnables, ajoute-t-il, et la banque ne risque pas grand-chose parce qu'elle peut toujours vendre le fromage.»

Le fromage est si précieux que chaque meule de 36 kg, d'une valeur d'environ 300, porte un numéro de série afin qu'on puisse la retracer en cas de vol. En février dernier, des voleurs ont pénétré dans l'un des entrepôts et ont pris la fuite avec 570 meules avant d'être appréhendés par la police.

«Grâce au ciel, nous avons mis le grappin sur les voleurs avant qu'ils râpent le fromage», lance William Bizzarri, 58 ans, qui gère les entrepôts.

Active dans les vallées de la région d'Émilie-Romagne, au sud-est de Milan, la banque Credito Emiliano utilise le parmesan à titre de bien en garantie depuis 1953 et confie la gestion du fromage à une division appelée Magazzini Generali delle Tagliate.

La banque offre des prêts d'une durée pouvant atteindre 24 mois, soit l'équivalent du temps qu'il faut au fromage pour vieillir, au taux interbancaire offert en euros, plus de 0,75% à 2%, précise M. Bizzarri. La banque consent aux producteurs jusqu'à 80% de la valeur de leur produit selon les prix du moment sur le marché.

«Le parmesan sert à des opérations financières depuis le Moyen Âge», explique Leo Bertozzi, patron de l'Association des producteurs de parmesan reggiano. «Cela tient à la fois au fait de sa valeur, dit-il, étant donné que chaque meule contient l'équivalent de 550 litres de lait, et au fait que le vieillissement prend des années, ce qui rend le financement nécessaire jusqu'à ce que le produit puisse être vendu.»

La banque a déjà songé à prendre le prosciutto, une autre des spécialités de la région, et l'huile d'olive comme biens en garantie, mais ces produits sont plus difficiles à entreposer et à mettre en marché, indique M. Bizzarri. «C'est plus facile de les voler ou de les remplacer», dit-il.

L'Émilie-Romagne est la seule région dans le monde qui a le droit légalement d'utiliser le nom parmigiano reggiano pour son fromage, dont la fabrication dans la région remonte aux alentours de 1200. Les ventes de parmesan ont atteint 1,54 milliard d'euros l'an dernier, dont 25% pour l'exportation, selon l'association des producteurs.

Une fois que la banque accepte le fromage comme bien en garantie, elle veille au processus de vieillissement, ce qui implique la nécessité de tourner les meules plusieurs fois par semaine et de les vérifier périodiquement pour déceler celles qui ont pu ramollir.

Tandis qu'un maître vérificateur tape chaque meule à l'aide d'un petit marteau de métal, M. Bizzarri tend l'oreille pour déceler un son creux, ce qui indiquerait que la meule est «ratée» et qu'il faut la détruire.

Les prix payés aux producteurs de parmesan étaient en moyenne de 7,27/kg en juillet dernier, comparativement à 7,49 en janvier, selon l'association des producteurs de la ville de Reggio d'Émilie. Les prix ont atteint un sommet de 9,36/kg en janvier 2004.