Mardi soir dernier, à Bangalore, en Inde. Le boulevard Thippasandra, jusque-là éclairé par les ampoules des kiosques, salons de coiffure et minuscules bars empilés les uns sur les autres, est soudainement plongé dans le noir.

L'air se remplit du bourdonnement des génératrices qui continuent d'alimenter les plus gros commerces. Les habitants, eux, ne bronchent pas. Ils continuent de siroter leur chai en parlant avec les voisins, de vendre leurs fruits dans la rue, de se frayer un chemin sur les trottoirs encombrés d'enfants, de vaches et de marchands.

Les pannes d'électricité en Inde, on connaît. Mais voilà : elles coûtent cher à cette économie qui aspire à se hisser parmi les plus grandes de la planète. Très cher: l'équivalent de 10 milliards de dollars l'an dernier, selon une étude dévoilée cette semaine par l'Association des manufacturiers en technologies de l'information et par la firme Emerson Network Power (India), un fabricant de génératrices.

Dix milliards de dollars, c'est presque 1% du PIB de l'Inde. Et c'est carrément le double des pertes engendrées il y a à peine cinq ans.

Le portrait dressé dans l'étude est impitoyable. Dans plusieurs villes dont Delhi, Pune et Bangalore, la demande électrique a tellement augmenté qu'elle fait craquer le réseau de partout. Et la situation est loin d'être meilleure à la campagne, où le manque d'infrastructure est encore plus criant.

Ces pannes de courant qui surviennent à tous moments - certaines sont planifiées, d'autres accidentelles - nuisent évidemment aux entreprises en interrompant leurs activités ou en les obligeant à défrayer des coûts supplémentaires pour s'assurer d'une deuxième source d'énergie.

«C'est un problème presque quotidien, dit Chandru N., chef des opérations pour Travel & Shop, une petite publication destinée aux touristes qui visitent Bangalore. Ça affecte tout notre cycle de production et ça interfère avec nos heures de tombée.»

Comme 95% des entreprises indiennes sondées dans l'étude, Travel & Shop s'est dotée d'une source d'alimentation secondaire en cas de panne.

Mais c'est loin de tout régler. La génératrice s'assure de faire rouler les ordinateurs et les serveurs informatiques quand le courant disparaît. Sauf que les employés doivent alors travailler dans le noir... et sans ventilateurs.

«Nos locaux deviennent très chauds, très rapidement », dit le chef des opérations.

Sans compter que le système d'urgence permet seulement à la petite entreprise de tenir quatre ou cinq heures. «On a souvent des pannes qui durent plus de 10 heures. Dans ce cas, qu'est-ce qu'on peut faire? La réponse, c'est : rien», dit Chandru N., qui affirme que la livraison de son magazine a été retardée plus d'une fois à cause des pannes électriques. Une goutte d'eau dans l'océan de problèmes causés par un réseau électrique incapable de livrer la marchandise.

L'étude dévoilée cette semaine montre que ce sont la productivité des employés et les relations avec les clients qui souffrent le plus des problèmes électriques. Le secteur manufacturier est celui qui subit les pertes les plus importantes, tandis que les entreprises de hautes technologies semblent s'être immunisées contre les problèmes à grands coups de génératrices... et de dollars pour les payer et les faire fonctionner.

En moyenne, une entreprise indienne perd 1360$ par heure de panne. Les pertes les plus élevées surviennent dans les entreprises de télécommunications, d'immobilier et d'infrastructures.