Il y a Coca-Cola qui voulait vendre plus de jus en Chine. Et les Chinois qui veulent une participation accrue dans Rio Tinto en Australie. Des sujets en apparence bien éloignés, qui ont pourtant un point commun : ils relancent les craintes de protectionnisme, que les dirigeants de la planète ont pourtant promis de ne pas ramener.

Le jus chinois d'abord. L'entreprise s'appelle China Huiyuan Juice Group et, en septembre, Coca-Cola a déposé une offre de 2,4 milliards US pour l'acquérir. Les trois principaux actionnaires, soit le fondateur Zhu Xinli (36 %), la française Danone (23 %) et le fonds d'investissement américain Warburg Pincus (6,8 %), ont tous accepté l'offre.  

Mais voilà qu'hier, le ministère chinois du Commerce a invoqué sa nouvelle loi antimonopole pour empêcher la vente du leader national du jus. Et ce qui devait être la plus importante prise de contrôle d'une entreprise chinoise par une société étrangère est tombé à l'eau.

 

Les internautes chinois qui ont laissé leurs commentaires sur le site du quotidien China Daily jubilaient en très, très grande majorité. «Je ne veux pas que, chaque fois que je vais au supermarché, mon argent s'en aille chez Coca-Cola», écrit l'un. «Huiyuan est notre jus national. En tant que Chinois, on devrait le garder», lance un autre. «Merci d'avoir appliqué la loi antimonopole!» renchérit un troisième.

 

«C'est du protectionnisme 101», explique à La Presse Affaires Jennifer Richmond, directrice des affaires chinoises chez Stratfor, firme de consultants internationale basée aux États-Unis. «La situation n'est pas nouvelle, mais elle pourrait prendre de l'ampleur dans le contexte économique actuel.»

 

Du même souffle, elle ajoute des nuances: la Chine a besoin d'investissements étrangers. D'ailleurs, des acquisitions ou des participations étrangères, de plus petite taille, il s'en fait encore dans l'empire du Milieu.

 

Le problème, selon elle, vient du fait que Huiyuan est une marque très populaire en Chine. Et des marques connues, qui ne sont pas que des sous-traitants de grands groupes étrangers, la Chine en compte peu. On pense à Lenovo (ordinateurs), Haier (électroménagers) ou Qingdao (bière). Ces rares marques bien chinoises, la Chine essaie de les amener vers les marchés étrangers.

 

Selon Jean-Paul Thiéblot, spécialiste de la Chine chez Zins Beauchesne, filiale de Sécor, c'est aussi «plus pour des raisons politiques qu'économiques» que le gouvernement a bloqué la transaction. Il souligne que les leaders communistes, dont le pouvoir est fragilisé par le ralentissement économique, offrent ainsi un cadeau aux plus nationalistes de leurs administrés. «Ils envoient aussi un message aux États-Unis qu'ils ne peuvent pas faire tout ce qu'ils veulent.»

 

Rio Tinto et les Chinois

M. Thiéblot croit que les Chinois «savent qu'il y aura un backlash». Cette réaction négative, les Chinois la vivent déjà en Australie.

 

Accueillis comme des sauveurs par les dirigeants de la très endettée Rio Tinto (en raison de l'acquisition d'Alcan), les Chinois doivent maintenant se frotter aux élus Australiens.

 

Cette semaine, ils ont reporté de 90 jours la décision qui doit permettre à la société d'État Chinalco d'injecter 19,5 milliards US dans Rio Tinto. La nouvelle a fait plonger le titre de Rio Tinto de 8,7 % en Australie.

 

«Je pense qu'on devrait vendre le lait et non la vache, dans ce cas-ci les minerais et non la mine», a lancé hier le sénateur indépendant Nick Xenophon.

 

La réaction des dirigeants de Rio Tinto le prouve, selon Mme Richmond : bien des sociétés étrangères n'auront pas les moyens de résister aux Chinois. «La Chine est une des seules acheteuses sur le marché présentement.»

 

Au Conseil commercial Canada-Chine, à Toronto, la directrice générale, Sarah Kutulakos, a dit ne pas avoir assez d'informations pour statuer si la décision de la Chine en ce qui a trait à Coca-Cola est du protectionnisme ou non. N'empêche, elle prend le soin de souligner que «tout le monde devrait faire attention au protectionnisme». Et pas seulement la Chine, précise-t-elle. «Je sais que des investisseurs chinois s'inquiètent du protectionnisme ici.»