«Qu'est-ce que t'as été con!»

Voilà ce que dirait Jérôme Kerviel à... Jérôme Kerviel s'il ne le connaissait pas.Dans un entretien diffusé vendredi par RTL, l'ancien courtier accusé par la Société générale d'être à l'origine de pertes de près de 5 milliards d'euros, se pose en victime assumant sa part de responsabilité dans les «bêtises» que la banque lui a laissé faire, voire encouragé à faire.

D'emblée, l'ancien opérateur attaque la conduite de l'instruction des juges Renaud van Ruymbeke et Françoise Desset, bouclée le 26 janvier après un an d'enquête. «Il y avait encore de nombreuses zones d'ombres au dossier», dit-il assurant que «toutes les preuves sont à la Société générale» mais que les juges ne sont pas allés chercher.

S'il nie avoir pris le moindre centime, ce que l'enquête a démontré assez rapidement, Jérôme Kerviel reprend sa ligne de défense ébauchée depuis le début de l'affaire: ses prises de positions à risques sur les marchés, ce qu'il nomme ses «bêtises», il n'a pu les faire «que parce que la banque m'a laissé les faire et m'a encouragé à les faire».

Réagissant à cette entrevue, l'avocat de la banque, Me Jean Veil a déclaré sur RTL: «la réalité c'est que tout était dissimulé, très bien dissimulé et très habilement dissimulé et évidemment la hiérarchie ne savait rien. Si tout le monde savait, ce n'était pas la peine de se donner autant de mal pour essayer de découvrir la réalité.»

«À aucun moment on n'a dit "stop". J'aurais bien aimé qu'on me dise "arrête tes conneries, ça va mal se passer". La réaction de mes responsables, de mes supérieurs m'encourage à continuer puisque tout le monde est satisfait», déclare l'ancien courtier.

Jérôme Kerviel dit avoir «l'impression que la générale tire les ficelles dans cette enquête, que cette instruction est pilotée par la banque».

«Avec du recul, je me dis que je me suis laissé emballé par tout un système, je me suis laissé entraîner», reconnaît le jeune homme.

À propos du juge Renaud van Ruymbeke, sur lequel il avait rédigé un mémoire lorsqu'il était étudiant, Jérôme Kerviel a la dent dure. «C'est quelqu'un pour qui j'avais la plus grande estime (...) c'est quelqu'un que je respectais beaucoup.»

Entendu 38 fois, l'ancien courtier assure que les auditions se sont dégradées à partir du moment où le magistrat «ne veut plus entendre ce qu'(il a) à lui dire et que tous les éléments à décharge, il ne les prend pas en compte».

Jérôme Kerviel souhaite dorénavant retrouver «l'anonymat», redevenir un «M. Nobody» et assure ne plus vouloir redevenir un opérateur. «Tout est faux dans ce milieu, tout est irréel, tout est basé sur le paraître.»

La Société générale a déclaré avoir découvert le 18 janvier 2008 l'ampleur des positions à risques, près de 50 milliards d'euros, prises par son courtier. Les faits ont été rendus publics le 24 janvier, l'ancien PDG de la banque, Daniel Bouton, qualifiant de «terroriste» Jérôme Kerviel.

Le débouclage de ces positions, entre le 21 et le 23 janvier, a provoqué une perte de 4,9 milliards d'euros. La Société générale affirme qu'elles faisaient courir un risque vital à la banque.

L'opérateur s'est défendu en assurant que sa hiérarchie était informée de ses prises de positions. Si l'enquête a révélé des manquements de la hiérarchie et une défaillance des contrôles internes, les juges ont considéré qu'elles ne relevaient pas d'une qualification pénale.

Jérôme Kerviel a été entendu une dernière fois le 22 janvier 2009 par les deux juges d'instruction. Il a été mis en examen le 28 janvier 2008 pour «abus de confiance», «faux et usage de faux» et «intrusion dans un système de traitement automatisé de données informatiques» et laissé en liberté par les juges contre l'avis du parquet.

La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait ordonné son placement en détention provisoire le 8 février avant de le remettre en liberté le 18 mars. Il encourt cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende.

Son ex-assistant, Thomas Mougard, a été mis en examen en juillet dans cette affaire pour «complicité d'introduction frauduleuse de données dans un système informatique».