La bulle immobilière qui a propulsé pendant des années l'économie espagnole a explosé de spectaculaire façon. Et les dégâts sont proportionnels aux excès qui ont précédé la déflagration.

Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre l'une des lignes de métro qui s'étendent vers la périphérie de Madrid et d'émerger dans l'un des quartiers populaires qui ont poussé comme des champignons depuis 10 ans.

 

À Vallecas, dans le sud-est de la ville, plusieurs grands chantiers ont été carrément interrompus, faute de fonds. Les structures de béton à l'abandon, surplombées de grues immobiles, ont été entourées de grillages où se prennent les sacs de plastique, dans une impression de désolation générale.

À l'abri dans un petit cabanon adjacent à l'un des bâtiments abandonnés, une poignée d'ouvriers attend en vain l'ordre de reprendre le boulot. Et le versement des salaires dus.

«Si on s'en va du chantier, on a encore moins de chances d'être payés», souligne un charpentier, Jesus, qui doute fort de pouvoir trouver un emploi ailleurs.

Les travaux reprendront-ils? «Personne ne le sait. L'entrepreneur dit qu'il ne peut pas payer les sous-traitants parce que l'entrepreneur général ne paie pas. Et ainsi de suite. C'est une chaîne», résume Jamal, grutier d'origine marocaine.

Quelques chantiers voisins bougent encore, dont celui d'un futur collège. «Les enfants n'ont pas disparu malgré la crise. La demande est forte», ironise la secrétaire de direction de l'établissement, construit par une firme privée.

Bien qu'il y ait du travail, l'heure est ici aussi à l'inquiétude. «Claro, hombre! Pour l'instant, ça va. Mais personne ici ne sait s'il aura un poste dans un an», souligne en souriant Noelia, une surveillante de 22 ans.

Pendant presque une décennie, le secteur immobilier espagnol, soutenu par l'abondance du crédit, a connu une expansion fulgurante et généré des centaines de milliers d'emplois qui ont alimenté à leur tour le secteur des services. Jusqu'à l'écrasement.

«On a eu sept ans de vaches grasses. Maintenant, c'est les vaches maigres. Ça va ramener les gens à l'essentiel», philosophe un vieux chauffeur de taxi.

La correction, c'est le moins qu'on puisse dire, est sévère. Le PIB, qui croissait de plus de 3% il y a peu, devrait chuter quasiment de 2% en 2009. Et le reste est à l'avenant: déficit et dette en hausse, cotation à la baisse de l'agence Standard's and Poor, etc.

Chômage à 15%

Le plus préoccupant pour les autorités, inquiètes d'un sérieux contrecoup social, est que le chômage a passé le cap des 15% et continue de croître sans vouloir ralentir. Plus de deux millions de personnes sont aujourd'hui sans emploi. Chez les jeunes, qui peinent généralement à quitter le giron familial tant les salaires sont médiocres, le taux atteint presque 30%.

Mariola Cobo, qui travaillait dans une banque jusqu'à l'automne dernier, est l'un des visages que cachent ces chiffres.

«Ils m'ont appelée un matin en me demandant de venir rapidement au bureau. Une heure et demie plus tard, j'étais à la rue», souligne la femme de 36 ans, croisée dans les rues de Vallecas avec son chien Bartolo.

Cette ancienne responsable des prêts hypothécaires a vu de près avec quel empressement les banques accordaient du crédit dans l'euphorie des dernières années. Aujourd'hui, l'approche est tout autre.

Dans son quartier, la plupart des commerces visibles sont des succursales bancaires. «Ce sont les seules qui n'ont pas de mal à avoir du crédit», ironise Mme Cobo, qui travaille à temps partiel dans une entreprise qui organise des fêtes.

Bien que les banques espagnoles aient évité l'abîme des subprimes à l'américaine, elles sont durement touchées par l'effondrement du secteur immobilier, où elles s'étaient lourdement engagées. Faute de paiement, elles se voient contraintes de reprendre à leurs clients insolvables des milliers de logements qui sont ensuite presque invendables. Leurs difficultés sont amplifiées par la crise financière mondiale, qui raréfie le crédit.

Nombre d'Espagnols, paniqués par la chute du marché, tentent de revendre leur propriété, mais les acheteurs sont rares. Dans les grands quotidiens, les annonces de propriétés à vendre s'étendent sur des pages et des pages.

Dans les rues de la capitale, y compris au centre, les affiches «Se vende» (à vendre) sont omniprésentes. Dans les vitrines des magasins, de grands panneaux annoncent un peu partout des soldes dans l'espoir de relancer la ferveur consommatrice de la population, sur les dents.

Certains sont réduits à vendre leurs bijoux de famille, ce qui comble d'aise les boutiques de prêt sur gages. Au centre-ville, des hommes-sandwichs annoncent la proximité de commerces qui rachètent les objets en or en échange d'argent sonnant et de taux d'intérêt usuraires. «Vous pouvez même les récupérer après», promet l'une d'elles.

Dettes et haut-de-forme

On peut aussi voir dans les rues de Madrid les singuliers représentants d'une entreprise de récupération de créances, El Cobrador del frac. En haut-de-forme et queue-de-pie, ils vont chez les personnes endettées pour leur rappeler leurs obligations.

«Notre but est de ridiculiser la personne endettée aux yeux de sa famille, de ses collègues, de manière à l'amener à payer», souligne sans détour le responsable des ventes, Francisco Banon.

La firme est constamment attaquée en justice mais ne s'en émeut guère. «Quand quelqu'un nous poursuit, c'est bon signe. Ça veut dire que notre stratégie pour l'énerver fonctionne», souligne le porte-parole de l'entreprise, qui figure parmi les rares bénéficiaires de la crise.

«Il y a nous et McDonald's», dit M. Banon, en allusion au fait que le géant du hamburger, petits prix obligent, enregistre des ventes records par les temps qui courent.