À force de trop fixer son attention sur Toronto et Vancouver avec ses nouvelles règles hypothécaires, Ottawa a provoqué une série d'effets « injustes » qui pénalisent tous les autres marchés immobiliers du pays, dénoncent les représentants de l'industrie hypothécaire.

Les dirigeants de Professionnels hypothécaires Canada (PHC), un organisme qui regroupe 11 500 courtiers et prêteurs, multiplient depuis lundi les rencontres à Ottawa dans l'espoir de convaincre le gouvernement de ralentir son train de réformes. Ils réclament notamment un moratoire « d'au moins 18 mois » sur l'implantation de toute nouvelle mesure.

« Les Canadiens de la classe moyenne paient déjà des milliers de dollars de plus en paiement d'intérêts et de nombreux premiers acheteurs sont incapables de se qualifier pour une hypothèque », a dénoncé hier Mark Kerzner, président du conseil d'administration de PHC, pendant une conférence de presse sur la colline du Parlement.

Parmi les mesures annoncées depuis octobre par le ministre des Finances Bill Morneau, on trouve un nouveau « test de tension » imposé à tous les emprunteurs qui ont moins de 20 % en mise de fonds. Ces acheteurs doivent maintenant être en mesure de se qualifier selon le plus haut taux de référence de la Banque du Canada (4,64 %), même si leur taux véritable est beaucoup plus bas.

IMPACT DE 21 MILLIARDS

Ce changement s'ajoute à plusieurs autres mesures, comme des exigences de capitalisation accrues envers les assureurs hypothécaires. PHC estime que toutes ces réformes ont fait fondre le volume d'affaires de l'industrie hypothécaire d'environ 20 % au cours des derniers mois. L'industrie estime qu'entre 60 000 et 75 000 acheteurs potentiels pourraient être pénalisés par ces mesures, ce qui pourrait réduire de 17 à 21 milliards la valeur des prêts émis pendant la prochaine année.

« Nos membres ont fait entendre leur mécontentement en ce qui concerne les impacts de ces changements, spécialement en dehors des marchés de Toronto et Vancouver, a souligné Mark Kerzner. Il y a un ressentiment réel et croissant du fait que la surchauffe des marchés de Toronto et Vancouver entraîne des impacts négatifs et injustes envers le reste du pays. »

La Fédération des chambres immobilières du Québec, par exemple, a fait valoir ses récriminations devant le Comité permanent des finances à Ottawa en janvier dernier. Selon la FCIQ, les nouvelles mesures sont « inappropriées » dans le contexte du marché québécois, où le prix des maisons unifamiliales a progressé de seulement 5 % entre 2012 et 2016, et où la valeur des condos a reculé dans certaines villes.

« Le Québec ne devrait pas subir les conséquences des marchés en surchauffe de Toronto et Vancouver, où le problème principal est une offre insuffisante », a argué la FCIQ dans son mémoire.

PAUSE DEMANDÉE

Les membres de PHC ne demandent pas au gouvernement d'annuler les réformes lancées depuis octobre, mais à tout le moins de prendre une pause de 18 mois, le temps de bien en évaluer les impacts. Ils souhaitent aussi des adoucissements à certaines règles.

Certains députés fédéraux ont pris la parole dernièrement pour appuyer les demandes de l'industrie hypothécaire. Le conservateur albertain Pat Kelly a fait une sortie à cet égard pendant les débats à la Chambre des communes lundi.

Dans un courriel à La Presse, le ministère des Finances a défendu ses réformes en affirmant que « le gouvernement a pris des mesures préventives pour faire en sorte que le marché du logement soit solide, concurrentiel et stable pour tous les Canadiens ».

2,59 % ou 4,64 % ?

Parmi ses principales demandes, PHC souhaite qu'Ottawa revoie la nouvelle règle sur les « tests de tension ». Depuis le 17 octobre dernier, tous les acheteurs qui font l'acquisition d'une maison avec une mise de fonds inférieure à 20 % sont soumis à la même « simulation de crise des taux hypothécaires ». Cet exercice vise à prévenir le surendettement des ménages. La valeur maximale des prêts est désormais calculée selon les taux de la Banque du Canada (4,64 %), même s'il est encore possible d'obtenir des taux fixes sur cinq ans à 2,59 %. Pour les acheteurs, cette règle retranche plusieurs dizaines de milliers de dollars à la somme maximale qui leur est allouée. PHC propose de revoir cette forme de calcul pour en arriver à une solution mitoyenne.