Où trouve-t-on la plus grande proportion d'investisseurs immobiliers étrangers au Canada? Ce n'est ni à Toronto, ni à Vancouver, mais bien au centre-ville de Montréal et à L'Île-des-Soeurs.

Pendant l'une de ses premières entrevues depuis son arrivée à la tête de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), Evan Siddall souligne cette statistique qui était passée quasi inaperçue l'an dernier. Le taux de propriétaires de condo étrangers atteint 6,9% au coeur de la métropole québécoise, contre 5,8% à Vancouver (dans la péninsule Burrard) et 4,3% au centre de Toronto. «C'est très élevé», note-t-il.

L'ancien financier de Wall Street a bâti sa carrière sur la saine gestion du risque et la stabilité du système financier. Depuis son entrée en poste à la SCHL en janvier 2014, l'homme de 50 ans a multiplié les mécanismes en vue d'identifier les drapeaux rouges du marché immobilier canadien. Montréal en présente plusieurs.

Inquiétudes

Si la présence grandissante d'acheteurs internationaux - en bonne partie chinois - confirme le statut de «classe mondiale» de la métropole, elle soulève aussi certaines inquiétudes, dit M. Siddall, rencontré dans son grand bureau de la banlieue d'Ottawa.

«Bien sûr, nous accueillons les investissements étrangers au Canada, nous avons une économie ouverte, souligne-t-il. Le problème, c'est qu'une portion trop grande de cet argent pourrait être à risque d'une fuite des capitaux. Encore là, nous croyons que notre système est très solide, mais si quelque chose devait se produire à l'étranger, notre principale crainte est que notre marge de manoeuvre se trouve restreinte.»

La SCHL présentera demain des données actualisées sur la présence d'investisseurs étrangers à Montréal et dans les autres grandes villes canadiennes, à l'occasion d'une grande conférence au Palais des congrès. Evan Siddall donnera également un discours devant la chambre de commerce du Montréal métropolitain

Investisseurs discrêts

Il demeure encore difficile - voire impossible - de connaître la proportion exacte d'investisseurs étrangers dans les grandes villes du pays, ainsi que leur provenance. À Montréal comme ailleurs.

«Le problème avec les investisseurs étrangers, c'est qu'ils ne veulent pas qu'on les trouve, dit le président de la SCHL. Ils veulent se cacher. Ils se cachent derrière des avocats, des sociétés à numéro, des prête-noms. Il faut trouver une meilleure façon de les identifier, et on travaille avec le gouvernement pour y parvenir.»

Partage de l'information

Parmi les principaux chantiers entamés par Evan Siddall depuis son entrée en poste, l'un des plus prioritaires est le partage accru de l'information entre tous les acteurs du marché immobilier: SCHL, banques, gouvernement et citoyens.

Selon M. Siddall, les banques émettrices d'hypothèques partagent déjà une somme importante de renseignements en vue d'identifier les acheteurs de condos et maisons luxueuses. Mais elles se butent elles aussi au même mur que la SCHL.

«La personne à qui elles prêtent peut être une entreprise ou un prête-nom, pas nécessairement un individu, explique-t-il. Elles peuvent aussi prêter à un résident permanent canadien dont l'époux gagne l'argent en Chine.»

Evan Siddall estime qu'il faut trouver un juste équilibre entre le contrôle des capitaux étrangers qui entrent au pays - et font flamber les prix de l'immobilier dans certains secteurs - et le maintien d'une économie ouverte. «On ne veut pas mettre un mur autour du Canada.»

Chômage et défauts de paiement

Le taux de chômage «étonnamment élevé» constitue l'un des principaux risques qui planent sur le marché immobilier montréalais, selon le président de la SCHL. En octobre, ce taux s'établissait à 10,5% dans l'île de Montréal et à 8,4% dans la région métropolitaine (incluant la banlieue), contre 7,0% en moyenne au Canada.

«Le facteur numéro un qui nous fait perdre de l'argent dans notre secteur de l'assurance prêt est le chômage, souligne Evan Siddall. Les gens gardent leur maison s'ils ont des emplois. C'est quand les gens perdent leur maison qu'on voit des pertes.»

Montréal affiche l'un des pires taux de prêts en souffrance de plus de 90 jours au pays, mentionne M. Siddall en entrevue. Il a été impossible d'obtenir le nombre exact d'arrérages pour la ville, mais le portrait provincial donne quand même une bonne idée de l'ampleur de la situation.

En date du 30 septembre, le nombre de prêts en souffrance assurés par la SCHL s'élevait à 2967 au Québec, de loin le total le plus élevé au pays. Cela représente 0,53% de tous les prêts, contre une moyenne canadienne de 0,35%.

L'Ontario suit avec 1979 prêts en souffrance (0,19% du total). En termes de proportions, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et les Territoires du Nord-Ouest font toutefois moins bien que le Québec, avec un taux de défaut de paiement variant de 0,54 à 0,92%.

Surévaluation du marché

La surévaluation des prix inquiète le président de la SCHL dans certains marchés, en particulier Toronto, Montréal, Québec et quelques villes des Prairies. «Ils sont quelque peu au-dessus de ce que les facteurs fondamentaux de l'économie suggèrent», résume-t-il.

Selon l'Association canadienne de l'immeuble, le prix moyen des propriétés s'est établi à 454 976$ le mois dernier au pays, en hausse de 8,3% sur un an. Il s'agit là d'une surévaluation «modeste», qui ne laisse pas planer de catastrophe imminente, croit Evan Siddall.

«Le fait qu'un marché soit surévalué ou sous-évalué n'implique pas que de mauvaises choses vont se produire, avance-t-il. En fait, le marché se corrigera d'une manière ou d'une autre: les prix baisseront, ou la croissance économique rejoindra la valeur de maisons et contribuera à un rééquilibrage. Ce dernier scénario apparaît comme le plus probable, celui auquel on s'attend.»

Dans certaines villes - et surtout à Montréal -, l'offre élevée de propriétés à vendre ajoute un facteur de risque supplémentaire, dit M. Siddall. Une «combinaison» qui l'inquiète.

«Si quelque chose arrivait à l'extérieur du Canada, par exemple une crise en Chine ou en Europe, notre marge de manoeuvre serait restreinte au Canada en raison de ces deux problèmes, fait-il valoir. Combinez à cela un troisième problème, soit le niveau très élevé d'endettement des ménages canadiens.»

Le président de la SCHL lance un énième appel à la retenue aux promoteurs immobiliers, qui continuent à construire à la chaîne des condos dans les grandes villes du pays.

«Le problème, c'est que c'est tout simplement trop facile d'investir dans l'immobilier résidentiel au Canada, lance M. Siddall. L'argent qui pourrait être investi de façon plus productive dans les entreprises va dans l'immobilier résidentiel, parce que c'est plus facile.»

LA SCHL EN CHIFFRES

525

Valeur totale des contrats d'assurance, en milliards de dollars, en vigueur de la SCHL au troisième trimestre, en baisse de 18 milliards par rapport à la fin de 2014. Le montant total ne doit pas dépasser 600 milliards, en vertu de la loi.

380

Résultats nets, en millions de dollars, tirés des activités d'assurance-prêt et de titrisation de la SCHL au troisième trimestre.

80 000

Nombre de prêts hypothécaires assurés par la SCHL seulement au troisième trimestre 2015, partout au Canada.

251 262$

Montant moyen des prêts assurés par la SCHL au troisième trimestre, pour les propriétaires-occupants.

0,35%

Pourcentage de prêts en souffrance au troisième trimestre à l'échelle canadienne.

463

Sommes investies, en millions de dollars, dans les programmes de logement social au troisième trimestre par la SCHL, au nom du gouvernement du Canada.