Le plan, c'était de «mettre le pied sur l'échelle» qui mènera Jorge Palafox vers une retraite paisible sous le soleil de l'Espagne.

À 45 ans, ce graphiste de Calgary est encore loin du jour où il accrochera ses crayons. Mais cinq années de débandade immobilière en Espagne ont produit des occasions difficiles à ignorer. À la mi-octobre, Jorge Palafox a ficelé les derniers détails de l'acquisition d'un appartement à Mijas, en pleine Costa del Sol.

Logé dans un immeuble d'un blanc éclatant, dans le pur style andalou, le condo donne accès à une piscine, un terrain de tennis et un jardin ombragé par des palmiers, à quelques pas de la plage.

«C'est le bon endroit et le bon moment pour acheter», se réjouissait Jorge Palafox, lorsque nous l'avons croisé le jour où il finalisait son achat. C'est, surtout, un bon prix: un peu moins de 120 000$, pour une propriété qui en valait deux fois plus il y a cinq ans.

Jorge Palafox espère rentabiliser l'investissement avec des locations occasionnelles. C'est pourquoi il a opté pour un condo de ville, facile à gérer depuis Calgary. Le jour venu, il s'installera peut-être dans un coin plus bucolique. En attendant, il se prépare à passer son premier Noël en famille dans cette ville du bout de l'Espagne où il espère trouver «de la chaleur humaine, et de la chaleur tout court».

La dégringolade

Des montagnes arides où s'accrochent des villages blancs surplombant la mer. Des kilomètres de plages bordées de béton. La côte sud de l'Espagne est une courtepointe où le pire côtoie le meilleur. Entre le village de Marbella, qui attire une clientèle de superstars, et celui de Benalmadena, avec ses ruelles étroites bordées de murs blancs auxquels s'accrochent des jardinières bleues, il y en a pour tous les goûts. Et tous les portefeuilles. Des condos à 120 000$, avec ou sans vue sur la mer. Un appartement de luxe de 330 000$, qui en valait deux fois plus avant d'être saisi par la banque. Jusqu'à l'hôtel de 30 chambres, autrefois évalué à 5,6 millions, qui vient d'être soldé pour 3,5 millions.

La débâcle touche tous les types de propriétés. Elle suit une décennie de frénésie immobilière qui a frappé l'Espagne au tournant des années 2000.

«À l'époque, il y avait des grues, des grues et des grues, et magouille après magouille. Puis, il y a eu faillite après faillite, et les grues sont parties», résume Nathalie Bonhomme, une vigneronne québécoise, établie près de Valence.

L'éclatement de la bulle a laissé l'Espagne avec 1,7 million d'appartements invendus et 3,4 millions de logements inhabités sur les bras. Le marché immobilier espagnol a subi une dégringolade dont personne n'est capable de prévoir la fin.

«Durant toute l'année 2007, nous n'avons pas fait une seule vente», se souvient Tom Van Camp, agent immobilier à Mijas.

«Depuis 2008, les prix ont chuté de 25%. Si on tient compte du coût de la vie, cela équivaut à une chute moyenne de 32%», précise Alfons Calderon, attaché économique au Bureau du Québec à Barcelone.

Avec une baisse moyenne de 43%, la chute a été encore plus spectaculaire en Andalousie, dit Maria Monasterio, de l'agence immobilière Aguirre Newman, à Malaga. Selon elle, les maisons se vendent aujourd'hui, en moyenne, pour 1800$ le mètre carré - contre plus de 4000$ avant la crise.

Et les banques, qui écoulent les maisons saisies à des propriétaires incapables de payer leur hypothèque, sont devenues les plus gros agents immobiliers du pays.

L'Espagne a-t-elle touché le fond du baril? Pas sûr.

«Quand cette chute va-t-elle s'arrêter? C'est la grande question. Les analystes disent que la pente n'est plus aussi abrupte. Mais il y a encore un énorme stock d'appartements invendus, des immeubles de 20 étages inhabités aux trois quarts», note Alfons Calderon. L'avenir est en forme de gros point d'interrogation.

La chasse aux étrangers

Et en ces temps de crise, une partie de la réponse se trouve... à l'extérieur de l'Espagne. «Aujourd'hui, le marché immobilier est surtout un marché d'étrangers», dit Miguel Orts, agent immobilier d'Alicante, sur la Costa Blanca.

Tom Van Camp voit défiler à son bureau de plus en plus de Français, de Belges, de Scandinaves.

Depuis le début de 2013, dans l'ensemble du pays, le nombre d'acheteurs étrangers a augmenté de 23%.

Le gouvernement espagnol mise sur eux pour sortir le marché immobilier du marasme. En mai, il a adopté une loi en vertu de laquelle tout étranger prêt à investir plus de 700 000$ dans l'immobilier espagnol peut obtenir le droit de résidence en retour. On vise en particulier les Russes et les Chinois, séduits par la promesse d'un passeport européen.

Pour l'instant, la ruée vers l'Espagne n'a pas encore frappé le Canada. Mais des signaux annoncent un regain d'intérêt pour ce pays. «De plus en plus de Canadiens viennent passer l'hiver ici, et profitent d'un coût de la vie moins élevé», constate Nathalie Bonhomme.

Depuis 2007, la métropole de l'Andalousie, Malaga, est desservie par des vols directs depuis Montréal et Toronto, ce qui ajoute à son attrait.

«De plus en plus d'étrangers viennent acheter une maison en Espagne, parce qu'ils trouvent que le pays est attrayant pour s'y installer à la retraite. Et il y a parmi eux de plus en plus de Canadiens», dit Alfons Calderon.

C'est le pas que pourrait franchir le Québécois Jean-Claude Ramet, qui a passé des heures à écumer les sites immobiliers espagnols. Pour constater que la baisse des prix touche aussi les prix des locations.

«J'ai vu des maisons à louer pour 350 euros [environ 510$] par mois», s'émerveille-t-il. Jean-Claude Ramet prévoit passer quelques mois dans une maison louée, l'hiver prochain, et en profiter pour visiter des maisons à vendre.

«Tant qu'à passer l'hiver au Mexique, je peux le passer en Espagne», résume-t-il. Soit à deux heures de vol de Paris ou Milan, et à deux heures de route de Tarife, d'où l'on peut s'embarquer pour le Maroc...

La Costa del Sol deviendra-t-elle la destination d'autres snowbirds Québécois, qui voudraient troquer la traditionnelle Floride contre le sud de l'Europe? Quelques oiseaux précurseurs sont peut-être en train de tracer le chemin.

Acheter une maison en Espagne en cinq temps

1 - Commencer par bien cerner ce qu'on cherche, conseillent les agents immobiliers interviewés dans le cadre de cet article. Le littoral ou la montagne? La proximité de l'Afrique ou celle de la France? L'Espagne compte plus de 2000 km de côte longeant la Méditerranée. Entre la Costa Brava, lieu de prédilection des Français, et la Costa del Sol, où l'on sent parfois souffler le vent du Sahara, les possibilités sont infinies. Une visite s'impose d'autant plus en raison du développement touristique sauvage qu'a connu l'Espagne. L'amateur de villages bucoliques risque d'être bien déçu en atterrissant sur une «Costa Hormigonera» - une côte de béton.

2 - Explorer l'offre de maisons sur l'internet. Le Québécois Jean-Charles Ramet conseille les sites suivants:

> dealista.com

> Firstoasis.com

> Findmeahome.com

> Homesalmeria.com

> Kyero.com

> Serviturismo-carboneras.com

3 - Peu importe la région ou l'agence immobilière avec laquelle on fait affaire, s'assurer que l'on a un accès direct à toutes les informations concernant la maison de notre choix. Vérifier si celle-ci a été construite en toute légalité. En cas contraire, vérifier si elle peut être régularisée en bonne et due forme, et le cas échéant, quel serait le coût de cette procédure (ça peut atteindre environ 5% de la valeur de la maison). S'il s'agit d'une reprise bancaire, s'assurer qu'elle a été bien entretenue depuis la saisie. Selon plusieurs agents immobiliers, les banques n'entretiennent pas bien les propriétés dont elles ont pris possession depuis l'éclatement de la bulle immobilière.

4 - Petit détail que tient à souligner Nathalie Bonhomme: n'oubliez pas de vérifier si votre maison possède un système de chauffage. L'hiver peut être humide et froid, même sur la Costa del Sol. Des touristes s'en sont parfois rendu compte à leurs dépens. «C'est un classique», dit la vigneronne québécoise.

5 - L'achat d'une maison par un étranger n'implique pas de procédures bureaucratiques particulièrement compliquées. Il faudra toutefois ouvrir un compte bancaire, et obtenir un numéro d'identité fiscale pour étranger. Cette procédure donne aussi accès au crédit hypothécaire auprès de banques locales. Pour faciliter les procédures dans l'achat de sa maison à Mijas, en Andalousie, le Canadien Jorge Palafox a fait appel aux services d'un avocat. «Ça a coûté un peu plus cher, mais ça valait la peine», conclut-il.

Acheter ou louer?

Les Espagnols sont un peuple de propriétaires: autrefois, seulement 9% des résidences étaient louées. Aujourd'hui, c'est 17%. Ça aussi, c'est le résultat de la crise: quand les propriétaires n'arrivent plus à rembourser leur prêt hypothécaire, ils sont prêts à louer leur maison à bas prix.

Philippe Binette, 29 ans, est arrivé à Malaga en 2007, avec l'idée d'y ouvrir un magasin d'équipement de surf. Mais le tsunami de la crise a emporté son rêve: «Les jeunes n'avaient plus les moyens d'acheter des chaussures de surf de 150 euros.»

Aujourd'hui, ce jeune Québécois gagne sa vie comme négociant de vin. Il vit dans un appartement de trois chambres à coucher, avec terrasse sur le toit et vue sur la mer. Loyer: près de 600$ par mois.

Natalia et Carl, Canadiens originaires de Vancouver, tiennent une école d'anglais à Malaga. Ils viennent d'emménager dans un bungalow, avec piscine et jardin. Loyer mensuel: 1100$ par mois. Comme d'autres Espagnols frappés par le chômage, les propriétaires de la maison sont partis travailler à l'étranger.

«Aujourd'hui, en Espagne, il y a un excellent marché pour les locataires», résume Nathalie Bonhomme, Québécoise établie à Valence. Un autre effet secondaire de la crise.

Quand le rêve tourne au cauchemar

L'avis est arrivé par la poste au début d'octobre et il était sans appel: Raymond Swing devra faire démolir sa maison et en assumer les frais, qui pourraient atteindre 30 000$.

Pour ce Britannique de 79 ans, établi à Mijas, en Andalousie, c'est une catastrophe.

Raymond Swing a acheté son terrain au début des années 2000. Il y a fait construire une maison de 400 m2, avec piscine et vue sur la mer. Son architecte a omis de lui dire que la maison était construite... sans permis.

Le vieil homme n'est pas le seul étranger à s'être fait embobiner par un promoteur immobilier durant les années de fièvre immobilière. «Ici, on peut tromper facilement quelqu'un qui vient de l'extérieur», se désole le maire adjoint de Mijas, Manuel Navarro.

La seule Andalousie compte 300 000 de ces habitations illégales, érigées sur des terrains fermés au développement immobilier. À Mijas, il y en a 8000.

La Ville prévoit régulariser la majorité des habitations illégales. Mais la villa de Raymond Swing fait partie des 400 maisons destinées à la démolition.

Manuel Navarro affirme avoir le coeur brisé devant cette décision, imposée par le gouvernement régional. Il assure que la Ville est maintenant plus vigilante. Depuis deux ans, elle a fait stopper 525 chantiers illégaux.

«L'Espagne n'est pas un paradis parfait, il y a eu beaucoup de problèmes», reconnaît Manuel Navarro. Ces problèmes sont en voie de règlement... mais il faut garder les yeux ouverts.