Bien des propriétaires ne le réalisent pas, mais leur résidence est hypothéquée au grand complet. De plus en plus, les institutions financières prennent une garantie hypothécaire de plus de 100% de la valeur de la maison, ce qui donne davantage de flexibilité aux propriétaires qui peuvent ensuite augmenter leur crédit sans avoir à retourner chez le notaire. Mais il y a aussi des inconvénients majeurs...

Quand Jean a eu des difficultés financières, il pensait pouvoir compter sur la valeur de sa maison pour dénicher les 30 000$ dont il avait besoin. Mais il a frappé un mur. Sans qu'il le sache, la banque avait pris une garantie hypothécaire sur 100% de la valeur de sa maison, même si elle ne lui avait prêté que 75% de la valeur de la résidence évaluée à environ 360 000$.

Le propriétaire aurait facilement pu obtenir une deuxième hypothèque de 30 000$. Mais le prêteur de deuxième rang exigeait que la banque réduise l'hypothèque, afin de libérer l'espace pour garantir le nouveau prêt. Or, la banque a refusé net. «Ils m'ont dit qu'ils protégeaient leur investissement», raconte le propriétaire dont nous avons changé le nom.

Comme sa situation financière s'était détériorée, la banque a aussi refusé d'augmenter son prêt pour lui fournir les 30 000$. Coincé, Jean a même songé à rembourser son hypothèque au complet, pour contracter un nouveau prêt plus élevé dans une autre institution. Mais les pénalités d'environ 15 000$ pour le remboursement anticipé l'ont vite dissuadé de le faire.

En raison de son hypothèque gonflée, toutes les portes du crédit se sont refermées au nez de Jean, au moment où il en avait cruellement besoin.

Pratique généralisée

Ce type d'hypothèque (subsidiaire ou collateral mortgage) est désormais monnaie courante dans les institutions financières où le prêt classique tend à disparaître.

«Il est devenu fréquent que les institutions prêteuses créent des hypothèques pour un montant nettement supérieur au montant de l'obligation garantie», observe la Chambre des notaires du Québec.

Par exemple, pour une maison d'une valeur de 30 0000$, une banque peut très bien prendre une garantie hypothécaire de 400 000$, même si le propriétaire a emprunté seulement 15 0000$.

«C'est la tendance», confirme Sylvie Rousson, courtière hypothécaire chez Multi-Prêts qui a déjà vu des garanties hypothécaires dépassant 150% de la valeur de la propriété.

Dans certains cas, le prêteur prend une hypothèque plus élevée que le prêt parce qu'il accorde à son client une marge de crédit hypothécaire. Le propriétaire peut y puiser, à sa guise, pour financer des rénovations, l'achat d'une voiture, d'un voyage ou de biens de consommation.

Mais certains prêteurs, comme la Banque TD, ont complètement migré vers les hypothèques subsidiaires, que le client ait une marge de crédit ou pas.

Les institutions prêteuses font valoir que cette mécanique permettra au propriétaire d'augmenter son hypothèque à l'avenir, jusqu'à concurrence du montant fixé, sans avoir à retourner chez le notaire, ce qui permet d'éviter des frais d'environ 1000$. Un avantage que les clients apprécient.

«De nombreux clients désirent refinancer leur prêt hypothécaire sans engager les frais supplémentaires - d'enregistrement ou juridiques - normalement exigés lorsque le montant d'un prêt hypothécaire classique est modifié ou qu'une hypothèque de deuxième rang est contractée», explique Me Éric Prud'homme, directeur au Québec de l'Association des banquiers canadiens (ABC).

Flexibilité ou menottes?

Mais les notaires ne le voient pas de cet oeil. À leur avis, les banques utilisent les hypothèques subsidiaires pour menotter leurs clients et non pas pour leur offrir plus de flexibilité.

«C'est une pratique qui limite la négociation. Et c'est voulu. Ce n'est pas un effet du hasard. Les prêteurs sont très conscients qu'en faisant ça, ils s'attachent le client. Et c'est ce qu'ils veulent faire», estime le président de la Chambre des notaires, Me Jean Lambert.

En hypothéquant à l'avance toutes ses possibilités de crédit, le client perd sa capacité de magasiner son taux d'intérêt lorsqu'il aura besoin de refinancement. Ce faisant, il n'obtiendra pas nécessairement un taux aussi bas que s'il avait pu négocier.

À la Banque TD, par exemple, c'est le taux affiché qui s'appliquera sur la nouvelle tranche du prêt.

«Le client se retrouvera ainsi avec un taux d'intérêt combiné», explique la porte-parole, Fiona Hirst. Il faut savoir qu'il y a un écart d'environ deux points de pourcentage entre le taux affiché (5,25% pour cinq ans en ce moment) et le meilleur taux négocié (3% sur cinq ans).

Mais il y a pire: le client peut se voir carrément refuser le refinancement. «Il n'y a rien qui oblige le prêteur qui a une hypothèque plus élevée à vous allonger des sommes supplémentaires», prévient Me Lambert.

Pour chaque tranche de prêt supplémentaire, le propriétaire doit répondre aux critères de la banque. S'il a perdu son emploi ou si son dossier de crédit s'est détérioré, la banque peut lui dire non.

«Comme c'est le cas pour tous les prêts, nous examinons la situation financière globale du client au moment de la demande afin d'évaluer sa solvabilité générale et sa capacité de remboursement», précise Mme Hirst.

Dans ce cas, le propriétaire peut se retrouver coincé, comme Jean. Aucun autre prêteur ne voudra lui prêter de l'argent, puisque sa maison sera déjà hypothéquée à 100%.

Le hic, c'est que lors de la signature de l'hypothèque, les clients sont rarement informés du fait que la banque pourrait fort bien refuser le refinancement.

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UN CAS TYPE

Valeur de la maison

300 000$

Somme prêtée par la banque

225 000$

Hypothèque prise par la banque

375 000$

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QUELQUES QUESTIONS AVANT DE SIGNER

- Est-ce que le montant de mon hypothèque sera plus élevé que celui de mon prêt?

- Si l'hypothèque est supérieure à la valeur de mon prêt, pourrai-je réemprunter sans payer de frais de notaire?

- Si je refinance mon hypothèque, quel sera le taux d'intérêt sur la nouvelle tranche de prêt?

- Dans quelle mesure pourriez-vous me refuser un refinancement?

- À la fin du terme, pourrai-je transférer mon hypothèque dans une autre institution financière, sans avoir à payer à nouveau des frais de notaire?

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«C'est une pratique qui limite la négociation. Et c'est voulu. Ce n'est pas un effet du hasard. Les prêteurs sont très conscients qu'en faisant ça, ils s'attachent le client. Et c'est ce qu'ils veulent faire.» - Me Jean Lambert, président de la Chambre des notaires