Les deux présumés fraudeurs Kinh Ho Quan et Hermel Bossé ne sont pas les seuls à avoir été écorchés par les autorités dans l'affaire du «flip immobilier». Le notaire Yvan Barabé, de Laval, fait face à de lourdes accusations disciplinaires qui pourraient mener à sa radiation.

La plainte devant le conseil de discipline de la Chambre des notaires a été déposée en 2010 après une longue enquête du syndic de la Chambre. Le travail du syndic a été fait en parallèle à celui de la GRC, qui a lancé son enquête en 2008 après les révélations de La Presse. Les audiences de M. Barabé ont eu lieu récemment devant le conseil de discipline. Yvan Barabé n'est pas accusé au criminel.

La semaine dernière, la GRC a arrêté sur MM. Quan, 56 ans, et Bossé, 58 ans, les accusant d'avoir participé à un stratagème frauduleux de «flip immobilier» dans la région de Montréal. L'enquête de la GRC a porté sur 20 transactions suspectes pour un montant s'élevant à près de 4,5 millions de dollars. Les deux individus sont passibles de 14 ans de prison. La GRC n'exclut pas que d'autres personnes soient accusées au criminel.

Des prix dopés jusqu'à 108%

Yvan Barabé a fait l'objet d'audiences disciplinaires les 4 et 24 novembre derniers. Le syndic de la Chambre des notaires lui reproche d'avoir contrevenu à des dispositions concernant la comptabilité de son compte en fidéicommis pour 77 transactions. Dans chaque cas, une même maison a été vendue deux fois dans la même journée, la deuxième fois à des prix dopés de 23 à 108%. Les transactions ont eu lieu principalement à Montréal, mais également à Lachine, à Laval, à Boisbriand et à Mirabel.

La plupart de ces «flips immobiliers», réalisés entre 2005 et 2007, ont impliqué des entreprises liées au groupe de Quan et Bossé, notamment Syncodev et Syncothèque. D'autres entreprises sont également mentionnées dans la plainte du syndic, entre autres Kémagest, 9166-5091 Québec inc. et Yapi Investments.

Membre du CA de la Chambre!

Fait particulier, Yvan Barabé était membre du conseil d'administration de la Chambre des notaires entre 2002 et 2011, soit durant la période visée par l'enquête du syndic. Il représentait la région de Laval. Ce syndic, faut-il noter, relève du conseil d'administration dont il était membre.

Le syndic reproche plus précisément à Yvan Barabé de ne pas avoir retenu les fonds, dans son compte en fidéicommis, de la première des deux ventes de chaque flip immobilier quotidien. Autrement dit, les acheteurs, comme Syncodev, achetaient chaque propriété sans rien verser. Ils payaient l'achat seulement une fois la maison revendue à un tiers.

Cette revente impliquait l'obtention d'un prêt hypothécaire gonflé auprès d'une institution. Les clients douteux de M. Barabé empochaient l'excédent entre le prix de la première et de la deuxième transaction. Dans les dossiers de la GRC, le tiers acheteur est un prête-nom naïf dont les capacités financières sont faussées pour l'obtention du prêt bancaire. Ces tiers acheteurs sont éventuellement incapables de payer la banque, qui perd une grande partie de sa mise.

Témoignage du président de la Chambre?

Pour se défendre devant le conseil de discipline, Yvan Barabé a demandé de faire témoigner le président de la Chambre des notaires, Jean Lambert, mais le syndic s'y est opposé, jugeant son témoignage non pertinent. Le conseil a pris l'affaire en délibéré.

Joint au téléphone, l'avocat de M. Barabé, Jean-Claude Dubé, affirme que le Code civil permet à une personne de vendre un immeuble avant d'en être propriétaire. Les transactions auxquelles a participé M. Barabé sont donc tout à fait légales, dit-il.

Qui plus est, les directives de l'époque de la Chambre des notaires concernant les «flips immobiliers» ne correspondent pas à ce qui s'est passé dans le présent dossier. D'où la demande de faire témoigner le président de la Chambre.

S'il est reconnu coupable, Yvan Barabé pourrait être radié. Dans un précédent cas de flip immobilier, le conseil de discipline de la Chambre avait radié pour trois ans la notaire Brenda Langlois, d'Outremont, pour avoir fait preuve d'aveuglement volontaire.

Par ailleurs, trois courtiers immobiliers ont été reconnus coupables d'infractions disciplinaires dans cette même affaire, soit Guy Cyr, Jacques Gendron et Michel Warren. Ce dernier a été suspendu de l'industrie du courtage immobilier pour près de 13 ans et les deux autres connaîtront leur sentence prochainement. Un quatrième courtier, Roberto Annecchini, est en attente de son procès disciplinaire. Yvan Barabé a agi comme notaire dans les dossiers des quatre courtiers.