Ottawa peut dire mission accomplie. Le dernier tour de vis au financement d'une hypothèque a refroidi les ardeurs de nombreux acheteurs. Les ventes de maisons ont diminué, mais pas la valeur des propriétés, qui continue de grimper. À Montréal, plusieurs propriétaires ont d'ailleurs sursauté en prenant connaissance de leur facture d'impôt foncier.

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L'effet souhaité par Ottawa s'est produit: la frénésie du marché immobilier s'est calmée au pays le mois dernier après l'introduction de nouvelles règles plus sévères sur le financement hypothécaire.

Le 18 mars, le ministère des Finances a imposé une série de règlements visant à éviter une surchauffe, dont l'abolition de l'amortissement hypothécaire sur 35 ans. Cela a provoqué un afflux d'acheteurs avant la date limite dans les villes les plus chères, et une baisse de cadence par la suite, en avril.

Le nombre de transactions a ainsi reculé de 14,7% au Canada le mois dernier par rapport à avril 2010, et de 4,4% sur un mois. «Comme on l'avait prévu, les modifications ont entraîné certaines ventes résidentielles qui se seraient autrement faites à une date ultérieure», a souligné l'Association canadienne de l'immeuble (ACI) dans son rapport mensuel publié hier.

Il s'agit du troisième tour de vis donné par Ottawa depuis 2008. Le ministre des Finances sortant Jim Flaherty a d'abord aboli l'amortissement hypothécaire sur 40 ans - puis sur 35 ans en mars dernier -, en plus d'interdire l'achat sans mise de fonds et de réduire la somme qui peut être empruntée lors d'un refinancement.

Selon Louis Gagnon, professeur de finances à la Queen's School of Business, il ne fait «aucun doute» que ces mesures ont contribué à apaiser la frénésie immobilière. Mais si la croissance de l'endettement des Canadiens a cessé, son niveau demeure inquiétant.

«Ce serait très, très sain pour l'économie canadienne si les ménages réduisaient leur taux d'endettement, a dit M. Gagnon à La Presse Affaires. Ce dont on a besoin, c'est d'un repli.»

Reste que les mesures d'Ottawa ont eu des effets considérables dans les marchés les plus chers du pays, où l'amortissement sur 35 ans était très populaire. Même à Montréal, où les prix demeurent plus bas que dans la plupart des grandes villes canadiennes, ces règles plus sévères se font sentir, indique François Mackay, de l'agence immobilière Groupe Mackay.

«Il y a beaucoup moins d'acheteurs qui se qualifient, alors qu'il y a trois ou quatre ans, tout le monde passait au financement», a observé M. Mackay, qui emploie 16 courtiers à son agence.

Cette réduction du bassin d'acheteurs ne l'empêche pas de faire de bonnes affaires. Après un déclin des ventes de 18% en avril, le marché montréalais semble même reprendre du tonus ce mois-ci. «On est à 2 transactions d'égaler nos 28 ventes du mois d'avril, et on est seulement le 17 mai», a dit M. Mackay hier.

Prix en hausse

À l'échelle canadienne, les prix ont poursuivi leur hausse le mois dernier, malgré le recul du nombre de transactions. La valeur de revente moyenne a grimpé de 8% sur 1 an, pour atteindre 372 544$.

Cela fait trois mois d'affilée que les gains dépassent 8% sur 1 an. «Le prix moyen au Canada a dévié au cours des derniers mois en raison de la montée en flèche des ventes de propriétés de plusieurs millions de dollars dans certaines régions particulières du Grand Vancouver», a souligné l'ACI.

Le marché vancouvérois demeure une exception au pays, avec un prix moyen qui atteint 802 000$, en hausse de 21% sur 1 an! Le vif intérêt - et les poches profondes - des investisseurs chinois propulse les prix à des niveaux jamais vus dans les quartiers de Richmond et Vancouver-Ouest.

«En excluant la région métropolitaine de Vancouver, les prix auraient grimpé au rythme plus modéré de 5,1% par rapport à l'an dernier», a noté Leslie Preston, analyste économique à la Banque TD.

Dans son ensemble, le marché immobilier canadien «s'approche d'un territoire équilibré» entre vendeurs et acheteurs de maisons, indique l'ACI. Plus des deux tiers des marchés locaux étaient à l'équilibre le mois dernier.

L'Association prédit une baisse de 1,3% du nombre de transactions pour l'ensemble de 2011 au Canada, nettement moindre que le recul de 9% qu'elle anticipait il y a 6 mois.

L'ACI a par ailleurs relevé le prix moyen prévu à la fin de cette année. Il devrait atteindre 352 000$, en hausse de 4% par rapport à 2010.

Ce prix moyen anticipé est plus bas que celui enregistré en avril (372 544$), lequel est gonflé démesurément par la vigueur du marché de Vancouver. «La pression à la hausse qu'exerce l'activité de revente en Colombie-Britannique sur les prix devrait être diluée plus tard dans l'année», a expliqué Gregory Klump, économiste en chef à l'ACI.

Robert Kavric, économiste à la BMO, s'attend lui aussi à un apaisement accru du marché au cours des prochains mois. «Les taux d'intérêt plus élevés et les règles hypothécaires plus strictes devraient contenir les ventes et les prix dans la prochaine année», a-t-il fait valoir.

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Les nouvelles mesures

Le ministre sortant des Finances Jim Flaherty a donné le 18 mars dernier un troisième tour de vis depuis 2008 dans le secteur du financement hypothécaire pour apaiser la surchauffe du marché immobilier. Voici un rappel des nouvelles mesures:

- Disparition de l'amortissement de 35 ans

La durée maximale de remboursement, qui avait déjà été réduite de 40 à 35 ans, est cette fois passée à 30 ans. Cela forcera plusieurs ménages à revoir à la baisse leur budget pour l'achat d'une propriété. Et cela pourra leur faire économiser des dizaines de milliers de dollars en frais d'intérêt.

- Réduction du plafond de financement

Plusieurs propriétaires refinancent leur maison pour se payer des voyages, des rénovations ou encore rembourser d'autres dettes à taux d'intérêt plus élevé. Pour éviter que les propriétés soient carrément considérées comme des «guichets automatiques», Ottawa a réduit la valeur maximale de la somme pouvant être refinancée. Elle est passée de 90% à 85% de la valeur de la résidence.

- Fin de la garantie des marges de crédit hypothécaire

Le gouvernement fédéral ne se portera plus garant des marges de crédit «hypothécaires», qui prennent en garantie la maison de l'emprunteur. Ce type d'emprunt à taux variable est considéré plus risqué qu'un prêt hypothécaire, puisque le taux d'intérêt est variable.

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EN CHIFFRES

-14,7%

Recul des ventes au Canada en avril (sur un an)

+8%

Hausse des prix sur un an

2/3

Proportion des marchés locaux ayant atteint le point d'équilibre

372 544$

Prix moyen des propriétés canadiennes