L'appartement est luxueux. Ou plutôt: était. Le condo de la rue de Lorimier compte trois chambres, de jolis lustres et des moulures dorées, un immense salon, même un spa. Mais en ce jour d'éviction, on remarque surtout l'odeur fétide laissée par les animaux et les longues traînées d'excréments qui jonchent le sol de la salle à manger.

Les locataires, un couple d'âge moyen et leur vieille mère malade, ont emménagé ici en juillet en s'engageant à verser un loyer mensuel de 1800$. Ils ont payé 700$ le premier mois, puis plus rien.

Après de nombreuses tentatives de recouvrement du loyer, suivies d'un jugement de la Régie et d'une rétractation qui a accordé un délai aux locataires, la propriétaire a finalement obtenu l'éviction en ce mardi après-midi de novembre.

La scène est hautement pathétique. Pendant que les déménageurs emballent les effets dans des boîtes, la dame âgée est recroquevillée dans son fauteuil, caressant son chien d'une main et fumant cigarette sur cigarette de l'autre. Aphasique, elle est incapable de parler.

Le locataire dit avoir perdu son emploi dans le camionnage le jour même de l'expulsion. Pourquoi alors ne pas avoir payé le loyer depuis cinq mois? «Il y avait des mouches et des punaises, j'ai contacté un avocat et il m'a dit: ne paie pas ton loyer», affirme-t-il.

Vider l'appartement d'au moins 1200 pieds carrés prend du temps. Pendant les heures que dure l'opération, le locataire multiplie les appels pour trouver un refuge à sa mère malade. Et peste contre sa propriétaire. «Une maudite arabe, ils ne viennent pas d'icitte», lance-t-il tout juste à côté d'un déménageur asiatique qui ne bronche pas.

Le frère de la proprio, planté devant le coquet édifice du Plateau Mont-Royal, attend la fin du déménagement pour poser de nouvelles serrures. Sa soeur s'est endettée de plus de 10 000$ pour payer l'hypothèque depuis juillet, et elle devra maintenant allonger des milliers de dollars en réparations et frais de désinfection.

L'huissier, qui est tenu par la loi d'assister à toute l'expulsion, demande au locataire comment il quittera les lieux. En taxi?

«Ben non, je n'ai pas d'argent. Je suis dans la rue.»

La «rétractation»

Certains locataires multiplient un recours devant la Régie du logement -appelé «rétractation»- dans le but d'étirer les délais avant leur expulsion.

En gros, cette manoeuvre leur permet de demander une nouvelle audience sous divers prétextes, comme la maladie ou un problème de transport en commun. La requête en rétractation est souvent présentée la veille ou le jour même d'une éviction ordonnée par la Régie, ce qui oblige l'organisme à fixer une nouvelle audience quelques semaines plus tard.

Entretemps, impossible pour le propriétaire de déloger le mauvais payeur. Ni, bien souvent, de percevoir un sou de loyer. Certains locataires multiplient les demandes de rétractation, au point où leur audience est repoussée pendant des mois.

Pour contrecarrer ces abus de procédure, l'Assemblée nationale a adopté en décembre le projet de loi 131. Cette législation autorise la Régie à déclarer la «forclusion» d'un locataire abusif, ce qui signifie qu'il n'a plus le droit de présenter de nouvelles requêtes de rétractation.

Son expulsion devient alors irrémédiable. Auparavant, la cause devait être envoyée devant la Cour supérieure, ce qui allongeait les délais et les frais juridiques pour les propriétaires floués.

Des ressources pour les évincés

Où vont les mauvais payeurs une fois évincés de leur appartement?

À Montréal, ils peuvent faire appel au service de référence de l'Office municipal d'habitation.

Ce service financé par la Ville redirige les familles vers des appartements abordables, et les reloge entretemps dans des centres communautaires comme le YMCA, explique la porte-parole Louise Hébert.

Les mauvais payeurs abusifs et récidivistes font toutefois rarement appel aux ressources d'hébergement communautaire, selon François Saillant, du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). «Ce type de gens n'appelle pas au FRAPRU, parce qu'ils sont très débrouillards. Mais on parle vraiment d'une infime minorité de locataires, qui saccagent les logements.»

D'après M. Saillant, la majorité des locataires qui ne paient pas leur logement sont tout simplement incapables de joindre les deux bouts en raison de leurs faibles moyens et de la hausse rapide des loyers depuis 10 ans.

Service de référence de l'Office: 514-868-4002