Alors qu'Ottawa s'apprête à resserrer encore une fois les règles entourant le financement hypothécaire, il demeure facile de se procurer un prêt sans aucune mise de fonds, a constaté La Presse Affaires.

Le comptant minimal exigé pour qu'une hypothèque soit assurée par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) est passé de zéro à 5% en octobre 2008, en vue de «protéger et renforcer le marché canadien du logement». Or, selon notre enquête, au moins cinq des huit grandes institutions financières du pays continuent à prêter à des demandeurs qui n'ont pas de liquidités, tant que leur dossier de crédit est sain.

La Presse Affaires a appelé les banques en prétendant être un client doté d'un bon revenu, mais dénué d'épargnes et de placements, intéressé à l'achat d'une maison sans comptant. Les préposés de Desjardins, CIBC, la Banque Nationale, la Banque Laurentienne et la Banque Scotia nous ont proposé diverses solutions pour obtenir un prêt malgré cette absence de fonds.

Le plus souvent, les employés offraient une hypothèque avec un «retour en argent» équivalent à 5% de la valeur du prêt, en échange d'un taux plus élevé. D'autres nous ont proposé des marges de crédit, prêts personnels et prêts-REER en vue d'emprunter les 5% requis.

Ces pratiques sont tout à fait légales. Mais selon Louis Gagnon, professeur de finances à la Queen's School of Business, elles sont «épouvantables». Et, surtout, contraires à l'esprit des changements apportés par Ottawa, qui visent à restreindre quelque peu l'accès au financement hypothécaire pour éviter la formation d'une bulle immobilière.

«Ce n'est vraiment pas bien, parce que ça va non seulement à l'encontre de l'esprit de la loi, mais aussi à l'encontre de la sûreté de notre système financier», a lancé M. Gagnon en entrevue téléphonique.

Selon l'expert, les acheteurs qui sont incapables d'amasser une mise de fonds de 5% devraient attendre un peu avant de se lancer dans le marché immobilier. Il penche même en faveur d'un relèvement de ce plancher à 10%.

Pouvoir discrétionnaire

Ottawa garantit une bonne partie des prêts hypothécaires octroyés par les banques - ceux dont la mise de fonds est inférieure à 20% - par l'entreprise de la SCHL.

La valeur des prêts assurés par la SCHL dépasse les 234 milliards de dollars.

Jusqu'en octobre 2008, la SCHL garantissait les prêts financés à 100%. Elle exige maintenant une mise de fonds minimale de 5%. Toutefois, peu lui importe que ce comptant provienne d'un prêt, d'une marge ou d'une remise en argent. La banque a tout le pouvoir discrétionnaire de décider, en somme.

«Les prêteurs disposent d'une marge de manoeuvre pour adopter leurs propres normes sur la provenance de la mise de fonds», a indiqué Chisholm Pothier, porte-parole au cabinet du ministre des Finances fédéral Jim Flaherty.

L'important, selon la SCHL, c'est que les frais de logement mensuels - remboursement du principal, des intérêts des taxes et des frais de chauffage - ne dépassent pas 32% du revenu brut du ménage emprunteur. Et que le total des dettes ne surpasse pas 40%.

Dans les cas des acheteurs incapables d'avancer le comptant minimal de 5%, la SCHL recommande aussi que le pointage de crédit (Beacon) soit supérieur à 650 points, comparativement à 600 points avec une mise de fonds «traditionnelle».

Les prêteurs sont d'ailleurs plus pointilleux avec les acheteurs sans comptant, confirme Robert Leroux, directeur du courtier Hypotheca. Plusieurs banques exigent un pointage de 680 plutôt que les 650 recommandés par la SCHL, dit-il.

M. Leroux ne voit toutefois aucun problème avec l'achat sans mise de fonds tant que l'emprunteur a un bon dossier. «Le moteur principal, c'est la capacité de payer.»

Attendre un peu?

Chez Desjardins, la porte-parole, Francine Blackburn, indique que les caisses «préfèrent» que les clients aient une mise de fonds de 5%. Quand ce n'est pas le cas, l'institution fait une remise en argent accompagnée d'un taux plus élevé. «On essaie autant que possible de leur dire d'attendre un peu et de mettre de l'argent de côté.»

La porte-parole de la Banque Nationale, Joan Beauchamp, soutient pour sa part que la remise en argent de 5% n'équivaut pas à prêter la mise de fonds. «On ne le finance pas à 100%.»

À la CIBC, Rob McLeod, directeur des affaires publiques, souligne que les prêts sans comptant représentent une proportion «extrêmement faible» des hypothèques consenties. Et que la pratique sera bientôt abolie. «Conformément aux autres changements qui touchent l'industrie et à l'environnement actuel, notre intention est de cesser d'offrir ce produit.»

Les changements mentionnés par Rob McLeod entreront en vigueur le 16 avril prochain. Entre autres nouveautés, Ottawa exigera une mise de fonds minimale de 20% pour l'achat d'une propriété spéculative. Le standard de 5% demeurera pour les maisons régulières.

Nouveaux créneaux

Mo Chaudhury, professeur à la faculté de gestion Desautels de l'Université McGill, estime que les banques cherchent peut-être à percer de nouveaux créneaux en prévision de la baisse prochaine des prêts pour les propriétés spéculatives. «C'est pourquoi elles sont aussi agressives avec le marché des premiers acheteurs.»

Quoi qu'il en soit, M. Chaudhury ne s'offusque pas de voir les institutions prêter à des acheteurs sans mise de fonds. Les banques sont en affaires pour courir des risques, dit-il. «Dans ce cas-ci, si elles peuvent être assurées que vous avez un travail relativement stable et payant, je pense que c'est un bon risque pour les banques.»

Les porte-parole de la Banque Scotia et de la Laurentienne n'avaient pas rappelé La Presse Affaires au moment de mettre sous presse, hier.