Copropriété indivise: diviser les coûts par trois ou tripler les problèmes?

L'idée est généreuse

«Mon copain et moi sommes ensemble depuis cinq ans et nous venons d'avoir un bébé, confie Isabelle. Notre bel appartement de quatre pièces commence à devenir un peu trop étroit. Nous songeons à nous acheter une propriété. Nous désirons rester à Montréal dans le quartier Rosemont puisque j'y travaille. Par contre, le prix des propriétés est très élevé. Nous avons donc songé à acheter un triplex ou un quadruplex en groupe. Il y aurait ma cousine, qui est célibataire, et ma meilleure amie, qui est en couple depuis environ trois ans.»

Cette amie de longue date, Émilie, ajoute: «L'idée d'un achat commun a pour objectif de s'entraider entre amis qui ont quitté leur région natale et se retrouvent loin de leur famille.»

 

Mais le chemin de l'entraide est semé d'embûches. «Nous sommes conscients qu'il faudrait penser à tous les problèmes possibles et imaginables pour que la bonne entente puisse perdurer.»

Copropriété divise ou indivise?

La copropriété peut prendre deux formes: divise ou indivise

La copropriété divise - la plus connue, appelée couramment condo - est solidement encadrée par l'obligatoire déclaration de copropriété.

«L'indivision est nettement moins définie que la copropriété divise», indique Me Yves Joli-Coeur, avocat spécialisé en droit de la copropriété, de l'étude De Grandpré Joli-Coeur. «La Loi oblige les collectivités de copropriétaires à se munir d'un fonds de prévoyance, qui est un bas de laine pour provisionner les grands travaux. En indivis, ça n'existe pas. Il n'y a pas de règles, à moins qu'elles soient définies par une convention.»

Cependant, dans l'île de Montréal, la loi interdit la transformation d'un immeuble locatif en copropriété divise, à moins que la municipalité ou l'arrondissement concerné n'accorde une dérogation. Par exemple, l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie a adopté en 2005 un règlement selon lequel seuls les immeubles de deux logements dont l'un est occupé par son propriétaire peuvent faire l'objet d'une dérogation.

Si Isabelle, Myriam et Émilie achètent un triplex en commun, ce sera donc en indivision. La difficulté consistera à l'occuper toutes en même temps.

Premier obstacle: trouver un triplex libre

La notaire Michèle Vallée, de l'étude Vallée Valiquette, rappelle que selon l'article 1958 du Code civil, le détenteur d'une part d'un immeuble en copropriété indivise ne peut évincer aucun locataire, même pour occuper lui-même le logement ainsi libéré. Une unique exception est permise, précise-t-elle: il n'y a qu'un seul autre copropriétaire... et il est son conjoint.

Un obstacle se dresse donc devant nos trois amies: elles doivent trouver un triplex entièrement vacant, ou dont les occupants quitteront leur logement à la fin de leur bail. Si un locataire est sédentaire, l'une des trois copropriétaires devra attendre qu'il veuille bien déménager. Ennuyeux si la bougeotte ne le saisit que dans 10 ans...

«En pratique, explique Louis Dumont, notaire chez De Grandpré Joli-Coeur, si trois personnes veulent acheter un triplex occupé par des locataires, elles feront savoir au vendeur, quand elles présenteront leur offre d'achat, qu'il faut une entente signée avec les locataires actuels dans laquelle ils s'engagent à quitter leur logement à une date précise.»

Location d'un logement indivis

L'article 1958 entraîne une autre conséquence. Si un copropriétaire indivis loue son unité, par exemple pour travailler temporairement dans une autre région, il risque de se heurter à son retour à une porte close: il ne pourra imposer l'éviction de son locataire pour reprendre son logement, à moins que celui-ci fasse preuve de bonne volonté.

Autre obstacle: trouver le financement

Avec la propriété indivise, tous les copropriétaires possèdent la propriété en commun. Il n'y a donc qu'un seul titre de propriété, une seule facture d'impôts fonciers, une seule assurance habitation et, traditionnellement, une seule hypothèque.

«Les banques sont plus frileuses à financer l'indivis. Il y a donc moins de choix de prêteurs quand on veut négocier un taux hypothécaire», commente l'avocat Yves Joli-Coeur.

Tous les copropriétaires seront solidairement responsables de l'emprunt auprès du créancier. Si l'un d'eux n'est pas en mesure de verser sa quote-part, les autres indivisaires devront prendre le relais. «On mange tous dans la même assiette», résume Me Michèle Vallée.

Heureusement, certaines institutions financières - Desjardins et la Banque Nationale - acceptent maintenant de consentir une hypothèque indépendante à chacun des copropriétaires indivis. «On accorde le prêt sur la même base qu'un crédit sur copropriété divise, à savoir la capacité d'emprunt et l'évaluation de la garantie», affirme Jean-Yves Pâquet, directeur risques de crédit, particuliers et petites entreprises, chez Desjardins.

Si l'un des indivisaires connaît des difficultés financières, lui seul aura à en répondre devant son créancier.

Règle générale, pour simplifier les démarches déjà suffisamment byzantines, il n'y aura qu'un seul créancier et un seul notaire. «On recommande de voir un notaire qui a de l'expérience en cette matière», suggère Jean-Yves Pâquet.

La mise de fonds

Rien n'est parfait: ces prêts indépendants ne peuvent être assurés par un assureur hypothécaire comme la SCHL. Il faudra donc faire une mise de fonds d'au moins 20% de la valeur de la part. «Pour un achat en indivision, les gens doivent avoir plus de sous, observe Me Louis Dumont. Ce sont souvent des deuxièmes acheteurs.»

Ce sera probablement l'obstacle le plus important qu'auront à affronter nos jeunes ménages. Myriam, célibataire, dispose présentement de 6000$ en épargne et de 6000$ en REER. En utilisant le RAP, elle ne pourrait réunir que 12 000$. Or, en supposant que sa part s'élève à 100 000$, la mise de fonds atteindrait 20 000$. «On souhaite que la mise de fonds vienne de l'épargne, informe Jean-Yves Pâquet, mais d'autres solutions sont aussi admissibles, qui seront évaluées cas par cas.» Prêt personnel, emprunt auprès d'un proche: tout n'est pas perdu...

Indispensable: une convention

La valeur de l'immeuble indivis est généralement moins élevée que le total de ses parties s'il était en copropriété divise. L'impôt foncier est donc lui aussi plus bas. «Les gens qui achètent pour longtemps en indivis y gagnent de ce côté année après année», fait valoir Me Dumont.

Les copropriétaires sont solidairement responsables de cet unique avis d'impôt foncier. Le créancier voudra prendre quelques précautions à cet égard. La loi n'y contraint pas les indivisaires, mais l'institution financière exigera une convention de copropriété indivise en bonne et due forme.

«On s'assure que la convention prévoit que les indivisaires recueillent l'impôt, qui est déposés dans un compte exprès à la caisse», signale Jean-Yves Pâquet.

Cette convention sera habituellement rédigée par le notaire qui veillera à la transaction et enregistrera les prêts hypothécaires. Elle pourra définir la quote-part de chacun, décrire les droits sur une unité d'habitation et sur les parties communes, instaurer un fonds de prévoyance pour les travaux aux parties communes.

Le notaire y inscrira également une hypothèque dite entrecroisée ou réciproque. «Cette hypothèque, qui n'a pas de lien avec l'institution financière, vient protéger les indivisaires si un mauvais payeur se trouve parmi eux», explique Louis Dumont. Un des copropriétaires ne verse pas depuis des mois sa part d'impôt foncier ou de la prime d'assurance habitation? «On crée dans la convention d'indivision une hypothèque qui les protège et leur accorde une garantie sur l'appartement du mauvais payeur», poursuit le notaire.

Comment faire la part des choses?

«Isabelle parlait de séparer le coût d'achat en cinq, souligne Myriam, mais je crois qu'il faudrait plutôt le séparer selon les unités de vie sans considérer combien de personnes y habiteront.» Elle a raison. Les deux couples achèteraient chacun une part en commun, et Myriam, célibataire, acquerrait la troisième en solo.

Voilà qui soulève un autre problème: «Tout le monde veut occuper le rez-de-chaussée ou le troisième, mais personne le deuxième», lance Me Michèle Vallée.

La cour est-elle d'usage commun? Qui utilisera l'unique place de stationnement du triplex, et à quel prix? Le sous-sol est-il réservé aux occupants du rez-de-chaussée?

Chacun de ces points devra être discuté, négocié, convenu. Ensuite, les copropriétaires demanderont à un évaluateur d'établir la valeur des logements occupés par chacun, des divers droits exclusifs, des parties communes.

Les parties communes comprendront notamment le toit, la structure et les fondations du bâtiment, le revêtement extérieur, ainsi que le terrain s'il est d'usage commun.

Les dépenses communes - impôt foncier, entretien et assurance, notamment - seront partagées dans les mêmes proportions que les quotes-parts.

C'est le principe de l'utilisateur-payeur qui prévaut: «Si j'utilise la place de stationnement, c'est moi qui paie pour la faire déneiger», illustre Michèle Vallée.

Projetons-nous dans quelques années

«Le plus grand problème serait selon moi le départ de quelqu'un, soulève encore Myriam. La revente à un inconnu changerait beaucoup la donne.» Dans le cas d'une copropriété indivise, elle a encore raison.

Pour l'instant, les trois copropriétaires s'entendent à merveille, mais si l'un d'entre eux est forcé de vendre sa part, rien ne garantit que le nouvel acquéreur se fondra aussi bien dans leur petite communauté.

C'est pourquoi la convention de copropriété contiendra souvent une clause de premier regard, qui donne aux copropriétaires un droit d'achat prioritaire si l'un d'entre eux veut vendre sa part. Mais encore faudra-t-il qu'ils disposent des fonds et du crédit nécessaires.

La voie de la copropriété divise

Isabelle, Myriam et Émilie voudront peut-être un jour transformer leur copropriété indivise en copropriété divise.

«Une fois qu'il y a des copropriétaires occupants dans tout l'immeuble, on peut s'adresser à la Régie du logement pour procéder à la conversion en copropriété divise, expose Me Dumont. Cependant, il y aura un impact sur l'impôt foncier, et certains préféreront attendre.»

La procédure est complexe, et nous la résumerons ici en trois étapes.

Première précaution: «Il faut d'abord prendre contact avec la Ville pour vérifier si elle n'a pas un règlement qui interdit la transformation en copropriété divise», insiste Louise Carignan, porte-parole de la Régie du logement du Québec (RLQ).

On l'a vu, c'est le cas dans l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie, ce qui empêcherait nos trois amies de parvenir à leurs fins.

Dans l'hypothèse où ils obtiennent une dérogation, les copropriétaires adressent ensuite une demande à la Régie du logement. Chaque copropriétaire doit faire la preuve qu'il habite véritablement un des logements. S'il ne l'occupe pas depuis au moins 10 ans, il devra démontrer qu'il n'a pas évincé illégalement de locataires au cours des 10 dernières années.

Dans la troisième étape, un arpenteur-géomètre remplacera le lot existant par un nouveau lot pour chaque logement, plus un lot supplémentaire qui décrira les parties communes.

De son côté, le notaire rédigera une déclaration de copropriété divise. «Avec le dépôt de cette déclaration, conclut Me Vallée, l'immeuble sera converti en copropriété divise.»

Ouf.

Pour plus d'information

Régie du logement

www.rdl.gouv.qc.ca Sous Nos fiches-conseils, Conversion d'un immeuble en copropriété divise.

Sur la copropriété

www.condolegal.com

Sur les dérogations à la conversion

en copropriété divise dans

les arrondissements de Montréal

ville.montreal.qc.ca

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