Une décision irréfléchie concernant un seul client a fait perdre une fortune au courtier Valeurs mobilières Desjardins (VMD), a appris La Presse Affaires. Et selon nos informations, cette gaffe est responsable d'environ la moitié des pertes de 23,4 millions de dollars du courtier en 2008.

L'affaire concerne l'un des plus importants clients privés au Canada, le financier Bruce Mitchell, d'Ottawa. Vers le mois d'août dernier, excitée devant la perspective d'obtenir ce compte prestigieux, une équipe clairsemée de la division Disnat de VMD a accordé un prêt de 70 millions de dollars à Bruce Mitchell.  

Le hic, c'est que l'octroi du prêt a outrepassé les règles élémentaires de gestion de risque, nous disent des sources bien informées. Et les mesures de contrôle de la firme n'ont pas détecté cette transaction insensée, qui s'est déroulée plusieurs semaines avant la déconfiture boursière.

 

Le compte a été ouvert par Disnat, le courtier à escompte de Valeurs mobilières Desjardins. Le responsable était Frédéric Paquette, vice-président et directeur général, courtage en ligne, nous dit-on. Son patron, le premier vice-président de VMD, Yves Néron, a pris connaissance de la nouvelle à son retour de vacances, mais il était trop tard.

 

Bruce Mitchell est un investisseur privé avec une réputation enviable. Il a fait sa marque comme gestionnaire de fonds du régime de retraite de Radio-Canada, il y a une vingtaine d'années. Depuis qu'il a quitté cette caisse, il gère des fonds pour son propre compte. Il aurait, entre autres, un imposant portefeuille immobilier et miserait sur des entreprises en redressement.

 

L'été dernier, Bruce Mitchell tentait d'ouvrir un nouveau compte dans une maison de courtage et c'est finalement Disnat qui l'a accueilli, selon nos informations.

Desjardins lui a alors prêté 70 millions sans faire une analyse approfondie du risque.

 

D'abord, ces 70 millions sont sept fois plus élevés que la limite maximale normalement autorisée par Desjardins, nous dit-on. Certes, Desjardins a exigé des garanties, de quelque 100 millions, mais les titres financiers formant ces garanties étaient peu liquides et trop concentrés dans certains secteurs d'investissement.

 

De retour de vacances, à la fin de l'été, certains dirigeants de VMD ont constaté que le prêt à M. Mitchell comportait un risque beaucoup trop grand. Ils ont alors tenté de récupérer les fonds, mais sans succès.

 

La crise boursière qui a suivi, en octobre, n'a rien fait pour arranger les choses. Au fur et à mesure que les marchés ont chuté -et avec eux la valeur des garanties-, Desjardins a fait des appels de fonds auprès de M. Mitchell, qu'il n'a pas pu complètement respecter.

 

Résultat: pour l'exercice 2008, VMD a été tenue de prendre une provision pour pertes de plus de 10 millions pour ce seul compte, soit environ la moitié des 23,4 millions de pertes de VMD, selon nos informations. En 2007, VMD avait réalisé un bénéfice de 0,6 million.

 

Dans le communiqué de presse annonçant les résultats 2008 de Desjardins, les résultats de VMD sont très peu détaillés, moins que les années précédentes. Les mauvais résultats de cette filiale, y lit-on, «sont principalement attribuables à la détérioration des marchés financiers et à la baisse de valeur de certains investissements dans des sociétés publiques».

 

Chez Desjardins, on nous indique que les revenus de VMD ont atteint 265 millions de dollars en 2008, en baisse de 8,9 % par rapport aux 291 millions de 2007.

Desjardins s'explique

Le premier vice-président et chef de l'administration de VMD, Sylvain Perreault, ne nie pas que l'entreprise a eu des difficultés à propos d'un client. Il confirme également que VMD a dû prendre des provisions de plus de 10 millions. Les règles de confidentialité lui interdisent toutefois d'identifier le client, qui collaborerait avec Desjardins.

 

«On a bon espoir de récupérer les montants provisionnés, dit M. Perreault. On va éventuellement faire un post mortem, mais pour le moment, on est en mode résolution. Il n'y a pas eu de congédiements liés à cette affaire, car nous sommes en train de résoudre la situation.»

 

De son côté, le porte-parole du Mouvement Desjardins, André Chapleau, nous indique qu'un mandat de vérification interne a été donné chez Desjardins. Une analyse complète sera faite et des mesures seront prises, en temps et lieu.

 

Nous avons tenté par divers moyens de joindre Bruce Mitchell, mais sans succès.

Pour le Mouvement Desjardins dans son ensemble, 2008 s'est terminée avec des excédents avant ristournes de 78 millions de dollars, par rapport à 1,10 milliard de dollars en 2007. Le revenu total de l'exercice atteint 8,37 milliards, en baisse 13,4 % par rapport à 2007. Ces mauvais résultats ont obligé le Mouvement à couper dans ses ristournes.