Victime de la riposte canadienne à la guerre tarifaire déclenchée par les États-Unis, l'entreprise Tremcar de Saint-Jean-sur-Richelieu - le troisième constructeur de semi-remorques-citernes en importance en Amérique du Nord - devra payer à partir de la semaine prochaine au gouvernement canadien une surtaxe de 25 % sur les feuilles d'acier inoxydable et de 10 % sur les plaques d'aluminium qu'elle est contrainte d'acheter aux États-Unis parce qu'aucun producteur canadien ne fabrique pareils matériaux.

Selon Jacques et Daniel Tremblay, les dirigeants propriétaires de cette entreprise familiale, il s'agit d'une aberration, rien de moins.

« Il n'existe aucun fabricant de feuilles d'acier inoxydable au Canada. Le dernier, Atlas Steel, de Tracy, a fermé ses portes en 2002 et on doit donc absolument s'approvisionner chez North American Stainless aux États-Unis pour fabriquer nos citernes en acier.

« Même chose pour les plaques d'aluminium qui servent à la fabrication de nos semi-remorques-citernes destinées au transport de produits pétroliers et chimiques.

« Il n'y a aucun transformateur qui fabrique un tel produit au Canada. On doit acheter nos plaques chez un fournisseur américain, une ancienne division d'Alcoa », expose Daniel Tremblay, le fils de Jacques, qui est aussi le président des activités de Tremcar au Canada.

Bien qu'il convienne de la nécessité et de la légitimité pour Ottawa de répondre aux tarifs américains imposés depuis deux mois sur la production d'acier et d'aluminium canadiens, il ne comprend pas pourquoi le gouvernement Trudeau n'a pas prévu des mesures d'exemption pour les entreprises qui dépendent de fournisseurs exclusivement américains.

« On est tenus par l'accord de libre-échange d'avoir un contenu nord-américain. Nous importons 70 % de nos pièces des États-Unis parce qu'il n'y a pas de fournisseurs canadiens », indique Daniel Tremblay.

« On ne peut pas concurrencer avec des hausses de prix de 25 % sur l'acier inoxydable et de 10 % sur les plaques d'aluminium. » - Daniel Tremblay, codirigeant de Tremcar

Selon les prévisions financières de Tremcar, la surtaxe canadienne va engendrer des coûts supplémentaires de 3,5 millions Pour une entreprise qui réalise des ventes de 135 millions, c'est une saignée qu'elle ne peut pas tolérer.

MESURES D'ATTÉNUATION

Pour faire face à cette riposte tarifaire inopportune dont ils font injustement les frais, les dirigeants de Tremcar ont quand même pris des mesures d'urgence.

Ils ont gonflé au maximum leurs stocks et ont pris des commandes auprès de fournisseurs mexicains d'acier inoxydable. Mais les feuilles d'acier mexicaines ne sont pas du même format, ce qui va obliger Tremcar à réaliser davantage de soudures pour les assembler.

« En achetant des produits mexicains, on respecte les normes de contenu nord-américain de l'ALENA. Mais la surtaxe canadienne va quand même entraîner des coûts additionnels d'inventaire, de transport et d'opération.

« Faire plus de soudures, ça va coûter plus cher et c'est une commande difficile dans le contexte de pénurie de main-d'oeuvre avec lequel on doit composer », déplore vertement Daniel Tremblay.

On comprend donc que Tremcar souhaite plutôt que le gouvernement fédéral décrète des exemptions ciblées aux entreprises victimes de la riposte canadienne.

EN FORTE CROISSANCE

Toute cette agitation n'était vraiment pas nécessaire pour cette PME qui a connu une forte et constante progression depuis qu'elle est exploitée par la famille Tremblay.

Jacques Tremblay a racheté en 1992 l'entreprise Tremcar, d'Iberville, qui fabriquait à l'époque quatre semi-remorques-citernes par mois avec une vingtaine d'employés.

Aujourd'hui, Tremcar fabrique cinq semi-remorques-citernes par jour, compte 525 employés, dont 450 au Canada, et exploite cinq usines, dont les deux plus importantes sont situées au Québec, à Saint-Jean-sur-Richelieu et à Saint-Césaire, qui est spécialisée dans la fabrication de citernes en aluminium.

« On a ouvert une usine à London, en Ontario, qui fabrique exclusivement des citernes destinées au transport de carburant pour avions pour la Défense nationale canadienne et les aéroports privés.

« On a deux usines aux États-Unis, l'une dans l'Ohio, qui fabrique des citernes en aluminium pour le transport pétrolier et les produits chimiques, et l'autre dans le Massachusetts, spécialisée dans les citernes pour le mazout », résume le paternel.

Jacques Tremblay est le président de Technologies Tremcar, le holding qui chapeaute les activités de l'entreprise familiale dont il partage la propriété avec son fils Daniel, responsable des activités générales de Tremcar, et sa fille Annie, qui a pris la direction des activités américaines et qui est établie depuis six ans dans l'Ohio.

PÉTROLE ET PRODUITS CHIMIQUES

Tremcar a enregistré une croissance accélérée avec l'avènement du pétrole et du gaz de schiste aux États-Unis. Jusqu'en 2014, les semi-remorques-citernes de l'entreprise étaient en forte demande dans les régions productrices, notamment dans le Dakota du Nord et l'Oklahoma.

« Les producteurs ont besoin de citernes pour acheminer le pétrole brut de leurs puits jusqu'au pipeline ou au chemin de fer le plus proche. Même chose avec le gaz naturel », souligne Jacques Tremblay.

Depuis 2014, les nouveaux forages ont chuté de 50 % aux États-Unis, mais le gaz naturel, qui est beaucoup utilisé dans la pétrochimie, a pris la relève.

Aujourd'hui, Tremcar réalise 25 % de ses revenus avec ses citernes de transport de produits alimentaires, 35 % pour celui de produits chimiques et 40 % pour le ciment, le pétrole ou l'essence.

« On se distingue de nos deux gros concurrents américains parce qu'on réalise plus de commandes personnalisées. On s'adapte aux différentes réglementations et aux différentes configurations », observe Jacques Tremblay.

Tremcar exploite également des centres de services dans chacune de ses usines où elle répare les citernes de toutes provenances. Le Fonds de solidarité est devenu partenaire de l'entreprise il y a trois ans pour financer la construction au coût de 12 millions d'un centre de services en Alberta.

Photo David Boily, La Presse

Daniel Tremblay, codirigeant de Tremcar, ne comprend pas pourquoi Ottawa n'a pas prévu des mesures d'exemption pour les entreprises d'ici qui dépendent de fournisseurs exclusivement américains.