Lorsque j'ai rencontré Sophie Brochu dans ses bureaux du siège social de l'entreprise situé dans le centre-sud de Montréal, elle n'avait pas encore décompressé de son passage - deux heures plus tôt - à la tribune de la chambre de commerce du Montréal métropolitiain. «Ce n'est pas agréable de sortir publiquement contre une entreprise partenaire. J'ai bien des choses à faire beaucoup plus productives, mais je ne peux pas laisser tomber nos clients», me lance la PDG de Gaz Métro, un brin excédée.

Mardi midi, Sophie Brochu a expliqué aux gens d'affaires montréalais que, de la façon dont il a été conçu, le projet Énergie Est que poursuit l'entreprise TransCanada est mauvais pour le Québec.

TransCanada souhaite acheminer le pétrole brut albertain via son gazoduc qui relie l'Ouest canadien jusqu'à Montréal et ensuite le faire transiter par un port pétrolier qui serait construit à Cacouna.

Le hic, c'est que, pour remplacer le gazoduc ainsi perdu au profit du pétrole, TransCanada prévoit la construction d'un autre gazoduc entre Thunder Bay et Ottawa dont la capacité de transport du gaz naturel serait de moitié moindre par rapport à la conduite existante.

Une éventualité qui limiterait les approvisionnements en gaz naturel de Gaz Métro durant les périodes de pointe hivernales, pénalisant ainsi les clients du distributeur gazier québécois qui auront à payer plus cher pour leur énergie ou qui seront contraints d'utiliser d'autres sources d'énergie plus coûteuses.

«Malgré les prix historiquement bas du gaz naturel, on a vécu l'hiver dernier une pénurie d'approvisionnement qui a fait exploser les prix. Avec le projet de TransCanada, il est certain que nos clients vont être pénalisés», prévient Sophie Brochu.

La PDG estime que Gaz Métro a amplement payé l'infrastructure qu'elle utilise depuis 30 ans et que TransCanada devrait se tourner vers les sociétés pétrolières pour financer la construction d'un oléoduc dédié au transport du pétrole entre Thunder Bay et Ottawa, plutôt que de réduire le débit du transport gazier.

Une diversification obligée

De fait, le projet Énergie Est arrive à un bien mauvais moment dans le cheminement de Gaz Métro. Après avoir connu des années de croissance très modeste comme principal distributeur de gaz naturel au Québec, Gaz Métro s'est investie au cours des dernières années dans un processus de diversification obligé.

L'entreprise a capitalisé sur son expertise dans la distribution d'énergie pour réaliser une percée aux États-Unis - où elle était déjà active dans la distribution de gaz naturel - en acquérant la principale société de distribution d'électricité du Vermont. En 2006, elle comptait 206 000 clients, principalement concentrés au Québec; l'an dernier, elle recensait 500 000 clients, dont plus de 305 000 au Vermont.

Gaz Métro ne fait plus que distribuer de l'énergie, elle en produit au Vermont avec son réseau de 32 petits barrages hydroélectriques, sa filière de transformation de fumier bovin en mégawatts écologiques et sa production d'énergie solaire.

«L'électricité produite à partir de fumier est plus dispendieuse à produire, mais au Vermont, on a des clients qui acceptent de payer plus cher pour des raisons écologiques, comme les gens qui achètent des légumes bio ici au Québec», souligne Sophie Brochu.

Le groupe a également pris une participation importante dans l'érection du plus important parc éolien québécois, celui de la seigneurie de Beauport, en partenariat avec Boralex.

Retour aux sources 

Depuis quelques années toutefois, Gaz Métro a identifié un nouveau filon extrêmement prometteur au coeur même de son activité de base, l'utilisation accrue du gaz naturel liquéfié (GNL).

«Le gaz naturel liquéfié est l'équivalent pour notre industrie de ce qu'a provoqué l'arrivée du sans-fil pour la téléphonie», affirme, d'un ton convaincu, Sophie Brochu.

Gaz Métro a récemment annoncé qu'elle allait augmenter de façon importante la production de GNL à son usine de Montréal-Est pour répondre à une augmentation sensible de la demande pour ce produit moins cher et moins polluant que le mazout ou le diésel.

L'usine de Montréal va hausser sa production annuelle de 6 milliards de pieds cubes de gaz naturel liquide.

«On va alimenter les installations de la mine de diamants Stornoway, dans le Nord québécois. Pour ce projet, localisé bien au nord de Chibougamau, l'utilisation du GNL va représenter pour la mine une économie annuelle de 8 à 10 millions par rapport à l'utilisation du diésel», précise Sophie Brochu.

Gaz Métro s'est aussi engagée à livrer sur une base annuelle 24 milliards de pieds cubes de GNL au groupe IFFCO, qui construit une usine de production d'urée à Bécancour. IFFCO utilise le gaz naturel liquide à titre de principale matière première pour la production de ce fertilisant agricole.

«Au cours des dernières années, nos besoins étaient demeurés relativement stables, note Sophie Brochu. On distribue annuellement en moyenne 200 milliards de pieds cubes. C'est certain qu'un projet comme celui d'IFFCO va hausser notre demande. Et ce n'est pas le seul.

«On a dans nos cartons plusieurs projets d'investissement qui reposent sur l'accès assuré à notre ressource. On a même un projet plus important encore que celui d'IFFCO, un projet flyé, mais aussi réalisable. Il faut que l'on soit capable de répondre à cette demande», explique la PDG de Gaz Métro.

Plus la discussion se poursuit, plus Sophie Brochu développe les arguments qui confirment les raisons pour lesquelles elle a été obligée de partir en guerre contre TransCanada, un partenaire de longue date qui a subitement succombé au mirage des pétrodollars plutôt que de s'en tenir à la raison d'affaires.