C'est devenu officiel lundi dernier: après trois ans d'efforts, la Maison Notman, le lieu de rencontre de la communauté web montréalaise, sera transformée en vrai quartier général consacré à l'entrepreneuriat technologique. Derrière ce projet de 7,1 millions se trouvent deux hommes peu connus du public: Alan MacIntosh et John Stokes. La Presse Affaires a rencontré ce dernier, un globe-trotter au parcours rocambolesque.

Il a été joueur de soccer semi-professionnel en Nouvelle-Zélande. A mis sur pied des opérations technologiques autant à Singapour et Kuala Lumpur qu'en Afrique du Sud et Hong-Kong. Il a monté et vendu des entreprises, investi dans d'autres. Et s'il est aujourd'hui à Montréal, c'est qu'il est tombé amoureux d'une Québécoise travaillant comme mannequin... à Tokyo.

Si John Stokes écrit un jour sa biographie, elle risque d'être volumineuse. Surtout que cet associé de Real Ventures, un fonds montréalais qui investit dans de petites entreprises web dans l'espoir de les voir percer, ne semble pas prêt de s'arrêter.

«Je ne fais que commencer», lance l'homme de 44 ans, aujourd'hui père d'une petite fille de 17 mois.

Affalé dans son fauteuil, John Stokes s'avoue pourtant épuisé. Un appel à la communauté vient de lui permettre de récolter près de 120 000$, bouclant le budget de son projet d'agrandir la Maison Notman pour en faire un campus dédié à l'entrepreneuriat technologique. En parallèle, il planche à préparer ses poulains de Founder Fuel à présenter la semaine prochaine leurs réalisations devant une assemblée d'investisseurs de partout sur la planète. Founder Fuel, un camp d'entrainement pour entrepreneurs web, est une autre création de Real Ventures.

Rien ne préparait pourtant John Stokes à jouer un rôle si actif dans la scène technologique montréalaise. Né en Grande-Bretagne, élevé en partie en Nouvelle-Zélande, l'un de ses premiers faits d'armes professionnels est de s'être fait congédier de son poste de représentant pharmaceutique après seulement trois mois en fonction.

«Je ne suis pas quelqu'un qui se satisfait du statu quo. J'essayais sans cesse de pousser et de changer les choses. Je ne dis pas que j'avais raison, mais bon: ça a provoqué mon départ», explique-t-il.

Le jeune Stokes ne s'en fait pas trop. À l'époque, il joue au soccer dans les ligues semi-professionnelles de la Nouvelle-Zélande et rêve de se tailler une place dans l'équipe nationale. Pour payer les factures, il commence à vendre des services de photocopie pour Fuji Xerox.

«On fait toujours des blagues sur les vendeurs de photocopieurs. Mais laissez-moi vous dire une chose: vendre des services de photocopie, c'est encore pire.»

C'est lorsque l'entreprise fonde une division destinée à vendre une nouvelle gamme de produits - des photocopieurs de haute technologie plus compacts - que John Stokes commence à prendre goût au travail.

«J'étais dans une équipe qui faisait de nouvelles choses, explique-t-il. On vendait de nouveaux produits à de nouveaux clients. Tout était à construire. J'ai vraiment commencé à apprécier mon travail. Et j'avais beaucoup de succès.»

Le jeune homme se fait un nom. Si bien que quand le géant américain Bellsouth lance une division de téléphonie mobile en Nouvelle-Zélande, il le recrute.

Le boulot lui plait et à 27 ans, il prend une difficile décision: abandonner son rêve de devenir joueur de soccer professionnel.

«Ça m'a libéré l'esprit et insufflé une nouvelle énergie», dit-il aujourd'hui.

John Stokes gravit les échelons chez Bellsouth, où il passe beaucoup de temps en Asie à chercher des fournisseurs. Puis survient son premier éclair entrepreneurial. Avec un collègue, il lance une boîte de logiciels, Forté Communications, capable de transformer des courriels en messages texte et vice-versa.

Forté attire l'attention d'investisseurs japonais, qui décident de miser sur John Stokes et son projet. La suite est compliquée à relater. Forté est rachetée par une boîte plus grande, et John Stokes se retrouve bientôt catapulté dans une carrière qui le mène d'entreprise en entreprise et de projet en projet.

De Hong Kong à l'Afrique du Sud en passant par New Delhi, Taiwan, la Malaisie, Pékin, l'Australie et les Philippines, il fonde des unités d'affaires pour des compagnies, lance des entreprises, vend des participations, fait de l'argent.

«Pendant huit ans, je n'avais pas de maison. C'était les avions, les hôtels, les valises», raconte-t-il.

Il finit par se poser à Hong Kong, où il devient ange investisseur et réinvesti une partie de ses profits dans de jeunes entreprises technologiques.

Puis la bulle techno éclate.

«J'avais plein d'investissements, dont plusieurs n'allaient pas très bien», raconte John Stokes. Il décide d'aller à la rescousse de l'un d'eux, une boîte de production télé japonaise qui produit notamment une émission de téléréalité sur la vie des mannequins.

John Stokes déménage à Tokyo pour prendre les rênes de l'entreprise. Il y rencontre celle qui deviendra sa femme, une Québécoise qui fait carrière comme mannequin dans la capitale japonaise.

«Il est arrivé un moment où nous avions tous les deux envies d'une vie normale», dit M. Stokes. D'où son atterrissage au Québec, en plein hiver 2005, avec un manteau «d'hiver» acheté à Londres qui l'a laissé complètement frigorifié.

Un peu surpris de l'omniprésence du français à Montréal, sans contacts dans l'industrie, John Stokes ouvre un blogue intitulé Montrealstartup.com. Son premier message, appelé «Ground Zero», y figure encore.

«Je lance une nouvelle compagnie. Elle n'a pas de nom, pas de financement, pas d'employés et pas de produit ou service clair à offrir....Ground Zero. Bienvenus à ceux qui veulent s'y joindre!»

Le message atteint son but. Des artisans de la scène technologique locale entrent en contact avec lui. Le reste est connu de ceux qui suivent l'industrie montréalaise. Avec des associés, John Stokes lance le fonds d'investissement Montreal Startup. Le groupe investit notamment dans Beyond the Rack, l'un des plus grands succès web de la métropole.

Puis vient le deuxième fonds, Real Ventures. Et le projet de la Maison Notman, qui a occupé les associés pendant des années. Une simple escale avant de repartir ailleurs pour John Stokes?

«Non! , lance-t-il. Cette fois, je reste.»