Après avoir accepté des redevances pour les télés généralistes et balisé la convergence à la télé, Konrad von Finckenstein tire sa révérence mardi prochain après cinq ans comme président du CRTC. Cet homme, dont le franc-parler est légendaire à Ottawa, souhaite à son successeur une réforme des lois sur les télécoms au pays.

Le temps des réformes est venu, tranche Konrad von Finckenstein.

Le président sortant du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) estime qu'Ottawa doit faire une réforme en profondeur des lois régissant la radio, la télé et les télécoms. «Nous sommes dans une nouvelle réalité où le consommateur est en charge, mais la réglementation actuelle est limitée, dit Konrad von Finckenstein, qui termine mardi son mandat de cinq ans, en entrevue à La Presse Affaires. Il est évident que notre système de réglementation vient d'un autre temps, au moment où c'était nécessaire qu'on réglemente la radiodiffusion parce qu'on avait un spectre très limité pour la radiodiffusion.»

Une seule loi

L'industrie des télécoms est actuellement régie par trois lois, mais le CRTC n'en interprète que deux (la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les télécommunications). La Loi sur la radiocommunication donne à Industrie Canada la responsabilité de gérer le spectre (les ondes). Konrad von Finckenstein suggère plutôt une seule loi pour l'ensemble de l'industrie. «La distinction entre la radiodiffusion et les télécoms n'est plus justifiée, dit-il. Nous avons une industrie convergée, nous devons avoir une réglementation convergée. Nous n'avons pas le choix que de repenser comment réglementer les domaines de la communication et de rediviser les responsabilités entre les différentes institutions. Le système de réglementation doit être modernisé et se concentrer sur l'essentiel.»

Dans cette réforme, le CRTC pourrait récupérer la responsabilité de gérer le spectre. «D'autres pays ont déjà libéré beaucoup plus de spectre, dit-il. Nous sommes très lents. Ce n'est pas une façon efficace de réglementer le spectre.»

Plusieurs des décisions de Konrad von Finckenstein, un haut fonctionnaire de carrière qui a été commissaire du Bureau de la concurrence et juge de la Cour fédérale avant de présider le CRTC, ont déplu au gouvernement Harper. Celui-ci a utilisé son pouvoir de révision dans les dossiers de l'actionnariat étranger de Globalive et des frais d'accès des fournisseurs indépendants d'accès internet. Mais Konrad von Finckenstein se défend d'avoir été «en conflit» avec le gouvernement Harper. «La loi prévoit que le ministre peut nous donner des directives dans certains cas, dit-il. Si le gouvernement prend une décision, c'est sa responsabilité. Il n'y avait pas de conflit. Nous avions parfois des opinions différentes sur des enjeux difficiles à trancher.»

Dans le dossier Sun News, Konrad von Finckenstein regrette que certains médias aient laissé entendre qu'il avait été influencé par le bureau du premier ministre Harper. L'ancien directeur des communications de Stephen Harper, Kory Teneckye, dirige Sun TV News. «Ni le premier ministre ni personne du gouvernement ne m'ont parlé là-dessus», martèle Konrad von Finckenstein, qui a écrit une lettre au Globe and Mail pour réfuter ces allégations. Le CRTC avait refusé la première demande de licence de Sun News parce que Quebecor voulait une distribution obligatoire avant d'octroyer une licence avec distribution facultative conformément à la politique du CRTC.

Création d'un fonds pour le contenu local

Durant son mandat, Konrad von Finckenstein a accordé une importance particulière à la production de contenu local, notamment en créant le Fonds pour l'amélioration de la production locale il y a trois ans. Le CRTC se demande actuellement s'il faut poursuivre ce fonds. «Les nouvelles locales sont importantes pour les gens, mais elles ne sont pas rentables de la façon dont elles sont produites par la télé généraliste, dit-il. Peut-être que les gens consulteront à l'avenir leurs nouvelles par l'internet, que nous allons voir de nouveaux modèles d'affaires.»

Konrad von Finckenstein, 66 ans, dit ne pas avoir demandé de deuxième mandat à la tête du CRTC au gouvernement Harper. Aucun président du CRTC n'a vu son mandat être renouvelé depuis Pierre Juneau en 1973. «Après cinq ans, je suis un peu fatigué et je n'aime pas le travail répétitif», dit celui qui a quitté son poste de juge de la Cour fédérale après seulement trois ans (un record dans l'histoire du tribunal!) pour diriger le CRTC en 2007. M. von Finckenstein n'a pas donné de détails sur son prochain emploi.

Le défi Netflix

Parmi les défis du prochain président du CRTC, il y a la question de Netflix et des autres distributeurs sur l'internet, qui ne sont pas soumis aux règles du CRTC. Konrad von Finckenstein a résisté aux demandes des diffuseurs et distributeurs traditionnels comme Astral d'assujettir Netflix aux mêmes obligations qu'eux, mais il admet l'ironie de la situation. «Si vous regardez la Coupe Stanley sur votre ordinateur ou à la télévision, les mêmes règles ne s'appliquent pas. Est-ce que vous pouvez m'expliquer la différence entre les deux émissions? D'un autre côté, nous avons eu deux audiences sur la question et personne n'a été capable de me montrer des dommages subis par les distributeurs traditionnels (en raison de Netflix). Il est possible que ces nouveaux distributeurs soient une occasion de fournir plus de contenu canadien à plus de gens.»

Toujours nécessaires, les redevances?

Les télés généralistes ont-elles toujours besoin de redevances des revenus du câble? Alors que la Cour suprême du Canada s'apprête à trancher la question, Konrad von Finckenstein n'est plus aussi convaincu que les redevances sont «encore nécessaires». «La décision a été prise dans des circonstances différentes, dit M. von Finckenstein. Sauf Radio-Canada, toutes les grandes chaînes généralistes sont maintenant liées à des distributeurs. Après cette décision, il y a une vague de consolidation dans l'industrie. Nous devrons réfléchir si c'est encore nécessaire d'implanter un tel système et sur la façon de le faire.» En mars 2010, le CRTC a donné le feu vert aux redevances pour les télés généralistes, qui devront les négocier avec les distributeurs. Depuis, les deux plus grandes chaînes généralistes privées au pays ont été achetées par des distributeurs (CTV par Bell et Global par Shaw). Le CRTC ayant demandé aux tribunaux de confirmer son pouvoir d'imposer un système de redevances, la Cour suprême du Canada entendra la cause en avril.

Et le successeur est...

La question sur toutes les lèvres dans l'industrie des télécoms: qui sera le prochain président du CRTC?

Le gouvernement fédéral a l'habitude de nommer un candidat de l'externe plutôt qu'un conseiller du CRTC déjà en poste pour présider l'organisme. Le gouvernement fédéral a choisi un candidat de l'externe pour toutes les nominations à la présidence du CRTC depuis Harry Boyle en 1976. À l'interne, le CRTC compte deux vice-présidents: Tom Pentefountas (radio et télé) et Leonard Katz (télécoms). L'un d'entre eux sera probablement nommé président par intérim mardi si le gouvernement n'a pas terminé son processus d'embauche. Citant la confidentialité du processus d'embauche, M. Pentefountas et M. Katz n'ont pas voulu dire s'ils se sont portés candidats à la succession de Konrad von Finckenstein, qui estime que son successeur devra être bilingue. «C'est approprié que le responsable d'un organisme comme le CRTC soit bilingue», dit-il. Même si l'appel de candidatures n'écarte pas les candidats unilingues (le bilinguisme est «préférable»), «le prochain président du CTRC sera bilingue», selon l'attaché de presse du ministre du Patrimoine canadien James Moore. Dans l'histoire du CRTC, un seul président, Harry Boyle (1976-1977), n'était pas bilingue.