À défaut de jouer dans l'équipe de basket de son école secondaire, Richard Peddie rêvait d'en gérer une chez les pros. Aujourd'hui, il veille sur trois amphithéâtres et quatre équipes de sport professionnel, dont les Raptors de la NBA et les Maple Leafs, qui commencent leur saison ce soir contre le Canadien. Portait du plus important gestionnaire de sport professionnel au Canada, un survivant qui a eu besoin de plusieurs vies professionnelles avant d'arriver au sommet de son industrie.

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Comment faire des profits dans la défaite? Richard Peddie aurait probablement voulu marquer le sport autrement, mais sa vie professionnelle l'a voulu ainsi.

«Les affaires vont très bien, mais notre défi est davantage sur le terrain», reconnaît-il au cours d'une entrevue accordée à La Presse Affaires l'été dernier dans son bureau logé au sommet du Air Canada Center.

Quelques étages plus bas, dans les gradins, les doléances des amateurs de sport torontois à son égard sont nombreuses. Le crime du grand patron de Maple Leaf Sports&Entertainment? Ses équipes sont riches mais médiocres. Ses Maple Leafs, absents des séries éliminatoires depuis cinq ans, forment l'équipe la plus riche de la Ligue nationale de hockey (LNH). Ses Raptors se classent 11e au rang de richesse dans la National Basketball Association (NBA), malgré une seule série remportée en 15 ans.

La valeur du conglomérat sportif qu'il dirige est estimée par le Globe and Mail à 1,7 milliard de dollars, soit trois fois plus que le Groupe CH de la famille Molson et ses associés. Maple Leaf Sports&Entertainment - connue sous le sigle MLSE - ne dévoile pas ses résultats financiers, mais l'entreprise générerait des revenus annuels de 500 millions.

Comment Richard Peddie parvient-il à faire fructifier des saisons perdantes? «Nous sommes vraiment bons en affaires, dit-il. Nous atteignons 90% de nos objectifs d'affaires. Je n'ai jamais été témoin d'un taux de réussite aussi élevé dans une entreprise.»

À la barre de MLSE depuis 1998, Richard Peddie a bâti deux amphithéâtres, lancé trois (bientôt quatre) réseaux de télé et réalisé l'un des plus grands projets immobiliers de la Ville reine. Mais il est jugé autant sur ses résultats financiers que sur ses résultats sur le terrain. Il n'a gagné aucun championnat et, l'an dernier, ses quatre équipes ont raté les séries. «Les affaires sont toujours meilleures quand vous gagnez, mais les gens oublient que nous sommes aussi des fans, pas seulement des administrateurs, dit Richard Peddie. Quand on perd, je me soucie de l'impact de la défaite sur la vente de hot-dogs, les commanditaires, le renouvellement des abonnements, mais, surtout, je me sens nul...»

Le PDG de MLSE, qui collectionne les sites web réclamant son licenciement et qui a dû retirer son numéro du bottin à la suite de menaces, n'est pas très apprécié de sa clientèle. «Le mot profits est banni dans le milieu du sport, dit-il. Et le mot fan vient de fanatique. Les fans ne se préoccupent pas de l'aspect financier de leur équipe. La finance, c'est important dans le sport, sinon vous avez des équipes en faillite ou qui jouent dans des arénas qui ne sont pas adéquats.»

Bruce Arthur, chroniqueur sportif du National Post, comprend la réaction de certains amateurs de la Leafs Nation. «Si vous avez quelque chose à vendre, Richard Peddie est très bon, dit-il. Par contre, il a été incapable de bâtir des équipes gagnantes. Sous sa direction, l'objectif numéro un de MLSE a été de vendre. S'il peut gagner aussi, tant mieux.»

Du dentifrice au hockey

L'un des hommes d'affaires les plus en vue de la Ville reine a commencé sa carrière de façon beaucoup moins glamour, au département de marketing chez Colgate. Trois ans plus tard, il passe dans l'industrie alimentaire chez General Foods, puis comme président de Pillsbury Canada, où il gagne un prix national pour sa stratégie de marketing. Après 18 ans à vendre des produits de consommation, il devient patron du Skydome, le domicile de l'équipe de baseball des Blue Jays, en 1989. «Ma courbe d'apprentissage était effrayante», se rappelle-t-il.

Heureusement, Richard Peddie apprend vite. En cinq ans à la barre du Skydome, son stade au toit rétractable est nommé à quatre reprises l'amphithéâtre sportif par excellence en Amérique du Nord.

Après un bref passage dans le milieu de la télé - il a dirigé TSN et RDS pour Labatt -, Richard Peddie tente d'obtenir une équipe de la NBA à Toronto pour un groupe d'investisseurs. Son groupe termine deuxième lors des enchères, mais le groupe gagnant l'engage comme premier président des Raptors.

Richard Peddie se retrouve vite à couteaux tirés avec l'autre grande équipe de sport professionnel à Toronto, les Maple Leafs, au sujet de la construction d'un nouvel amphithéâtre (le Centre Air Canada). La controverse prend fin lorsque les Maple Leafs achètent les Raptors en 1998.

Une transaction de mauvais augure pour l'avenir du président des Raptors. Mais, encore une fois, le chat retombe vite sur ses pattes. «Ce qui m'a beaucoup aidé, c'est que les Leafs n'avaient personne dans leur organisation pour être PDG à ce moment-là, dit Richard Peddie. Comme il y avait beaucoup de travail, j'ai soumis un plan précis pour les 90 premiers jours.» Un à un, ce survivant rallie ses nouveaux patrons. «Comme disait Mark Twain, la nouvelle de ma mort fut très exagérée», dit-il.

Diriger l'empire à la feuille d'érable comporte des défis uniques - comme gérer l'un des conseils d'administration les plus dysfonctionnels à Toronto, à en croire les rumeurs que s'empresse de nier avec insistance Richard Peddie. MLSE est détenue par le fonds de retraite Teachers' (66%) et la Banque TD (13,5%), qui voient d'abord MLSE comme un investissement, ainsi que par le magnat de l'immobilier Larry Tanenbaum (20,5%), un amoureux de sport qui veut notamment amener une équipe de la NFL à Toronto.

«Je suis impliqué dans trois ligues professionnelles et je n'échangerais pas mon groupe de propriétaires contre personne, dit Richard Peddie. Ils sont stratégiques, ils me laissent faire mon travail, ils investissent quand on a un bon projet et ils me tiennent responsable de mes décisions.»

À 63 ans, Richard Peddie estime avoir trop de défis devant lui pour songer à une retraite dorée, même si les rumeurs de son départ reviennent chaque année. Sa priorité: remporter le championnat qui garnira les coffres de MLSE et qui fera taire ses critiques.

«Les gens qui pensent que nous ne voulons pas gagner parce que nous faisons déjà des profits oublient que gagner des championnats, c'est excellent pour les affaires, dit-il. La meilleure façon d'augmenter la valeur de l'entreprise, c'est de gagner. Pour ce qui est des critiques, je suis responsable des résultats de nos équipes. Toutefois, je constate que quand les Maple Leafs jouent bien, personne ne remercie Richard Peddie. Mais quand l'équipe joue mal, je prends plus que ma part de blâme...

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Vocation: promoteur immobilier

Après les équipes sportives, les amphithéâtres et les réseaux de télé, Richard Peddie s'est découvert une nouvelle vocation au cours des dernières années: l'immobilier. Cet automne, le PDG de MLSE inaugure Maple Leaf Square, un projet immobilier de 500 millions de dollars au pied du Air Canada Center. Le projet inclut notamment 872 condos de luxe, un hôtel Le Germain, deux restaurants et 900 places de stationnement. «C'est l'un des projets immobiliers les plus complexes de l'histoire de Toronto», dit Richard Peddie. MLSE et Cadillac Fairview (le bras immobilier de Teachers') détiennent chacun 37,5% du projet, le courtier immobilier Lanterra 25%. Évidemment, Maple Leaf Square a son propre bar sportif. Ouvert depuis quatre mois, Real Sports a déjà été nommé le meilleur bar sportif en Amérique du Nord par ESPN. Il génère des revenus mensuels de 1 million de dollars, soit environ trois fois plus que la Cage aux sports du Centre Bell.

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MAPLE LEAF SPORTS & ENTERTAINMENT

Équipes sportives :

> Maple Leafs de Toronto (LNH)

> Raptors de Toronto (NBA)

> Toronto FC (soccer)

> Marlies de Toronto (Ligue américaine de hockey)

Amphithéâtres :

> Air Canada Center

> Ricoh Coliseum

> BMO Field

Réseaux de télé:

> Leafs TV

> Raptors NBA TV

> GolTV

> Mainstream Sports (licence seulement)

Immobilier :

> Maple Leaf Square (37,5%)