Son parcours est fulgurant. Son nom, pratiquement inconnu du public et même du monde des affaires. Contradiction?

«C'est probablement une partie de la recette, répond au contraire François Desjardins. Je ne suis pas beaucoup dans le public et c'est quelque chose que je privilégie dans mon style de gestion: se concentrer sur le travail et laisser de côté les choses qui n'amènent pas de valeur en réalité.»

Il suffisait de voir M. Desjardins cette semaine pour comprendre. À 39 ans, l'homme vient d'être nommé parmi les «40 Canadiens performants de moins de 40 ans».

Poignées de main, photos, entrevues: celui qui porte les titres de vice-président à la direction de la Banque Laurentienne et de président et chef de la direction de B2B Trust, filiale de l'institution qui fournit des services aux conseillers financiers indépendants, a dû quitter son bureau de Toronto pour se prêter au jeu médiatique.

«Je suis très honoré de faire partie d'un club de gens d'exception comme ça. C'est quelque chose de très émotif, ça va te chercher», précise tout de suite M. Desjardins.

Mais il avoue du même souffle ne pas être parfaitement à l'aise avec l'attention suscitée par de tels honneurs.

«Je ne suis pas habitué à me faire prendre en photo et me faire dire que je suis bon. Ce n'est pas moi, ça. Ce n'est pas pour ça que je vis. Moi, je suis dans l'action. J'ai hâte de retourner travailler.»

Travailler. Si vous voulez comprendre François Desjardins, le secret est là. Le mot revient sans cesse dans sa conversation.

«Ma recette n'est pas compliquée. C'est: on travaille fort, on travaille plus fort que les autres, on apprend plus vite que les autres, et on se met dans une position où on créé nos opportunités», explique-t-il.

Il dit avoir découvert le plaisir du boulot à l'âge de cinq ans, en travaillant dans les divers commerces - fleuriste, club vidéo, centre d'achats - exploités par son père.

Et c'est en cherchant un emploi pour payer ses études - une technique administrative en finance au cégep - qu'il place complètement par hasard les jalons de sa future carrière de banquier.

«J'ai pris le bottin et j'ai envoyé mon CV à plus de 100 entreprises, se souvient-il. Mon critère de sélection, c'était: si l'entreprise est assez importante pour mettre son nom en caractères gras, ça m'intéresse.» Les lettres de refus s'empilent - 78 pour être exact, que M. Desjardins a toutes conservées. Mais la Banque Laurentienne lui offre quelque chose. «Je pense que le poste s'appelait commis-caissier temporaire, temps partiel, étudiant... Ils n'auraient pas pu mettre plus de mots à côté du titre pour le minimiser!» rigole M. Desjardins.

Mais l'étudiant d'alors l'accepte. Et cherche immédiatement des occasions de grimper les échelons. «Je voulais travailler. Je voulais travailler plus d'heures, avec de meilleures conditions. Je me suis mis à envoyer sans cesse mon CV aux ressources humaines.»

«Un moment donné, ils m'ont appelé et ils m'ont dit: «écoute, on a compris le message», raconte M. Desjardins en riant. «Étant donné que tu es un employé temporaire, tout le monde va passer en avant de toi. Arrête d'envoyer ton CV. S'il y a un poste qui se libère sur lequel personne n'applique, on va t'appeler.»»

Le coup de téléphone finira par venir. Comme toutes les banques à cette époque, la Laurentienne lance un service à la clientèle par téléphone pour libérer ses succursales. François Desjardins devient conseiller télé-bancaire. Et comprend rapidement le potentiel d'expansion du service auquel il vient de se joindre.

«Être dans un monde en train de se créer, c'est un risque au niveau de la carrière, mais ça amène aussi beaucoup d'opportunités», dit-il.

Un premier pas vers le sommet

À coup de travail et de leadership, François Desjardins finit par prendre la tête du groupe télé-bancaire, alors assez petit. Mais il le redéfinit, le positionne et le fait grandir. «J'en ai fait ce qui s'appelle aujourd'hui les «services financiers en direct», une division qui inclut tout ce qui est virtuel - internet, les guichets, les conseillers bancaires au téléphone...»

C'est comme ça qu'il se met sur la carte. Et obtient son poste de vice-président alors qu'il n'a pas encore terminé son bac en administration des affaires de HEC Montréal, qu'il poursuit tout en travaillant.

«Ma recette, c'est: fais ce que tu dis que tu vas faire. C'est facile à dire, et 97% des fois, c'est facile à faire. Mais ce que les employés retiennent, c'est le 3% du temps où tu livres la marchandise quand c'est tough de le faire.»

Il donne l'exemple de l'an 2000, alors que tout le monde craignait le fameux bogue. «À l'an 2000, je n'étais pas avec ma famille. J'étais avec mes employés, avec mon t-shirt: nous avons survécu à l'an 2000 ensemble. Je n'étais pas obligé: j'étais VP. Mais pour moi, c'est ça qui fait la différence.»

En 2004, le président de l'époque, Raymond McManus, lui offre une nouvelle mission: prendre la tête de B2B Trust, filiale qui offre des produits destinés aux conseillers financiers indépendants. La banque vient alors d'acheter toutes les actions et fermer le capital de cette filiale qui, comme l'ensemble de la Laurentienne à l'époque, bat de l'aile et est en plein repositionnement.

À son arrivée, le «moral n'est pas super», admet M. Desjardins. Mais il y débarque avec la même éthique de travail.

«Tu commences en travaillant fort toi-même, parce qu'il n'y a personne qui veut travailler pour du monde qui ne travaille pas plus qu'eux. Tu arrives avant tes employés, tu quittes après tes employés», dit celui qui dit travailler 55 heures pendant les «petites semaines», près d'une centaine pendant les plus intenses.

En cinq ans, il parviendra à faire bondir le bénéfice net de la filiale de 81% grâce, entre autres, à un changement de philosophie.

«Dans conseiller indépendant, le mot important, c'est indépendant, explique M. Desjardins. La majorité des fournisseurs de produits sont habitués à gérer une force de vente captive: leurs propres employés. Mais un conseiller indépendant, ce n'est pas un employé. Ça s'apparente beaucoup plus à un client.»

En 2005, François Desjardins devient membre du comité de direction de la Banque Laurentienne, qui définit les orientations stratégiques de toute l'institution financière. «Mon apport là-dedans, c'est souvent de ramener les choses vers le client», dit celui qui se rappelle ses années passées à les servir directement.

François Desjardins a bien essayé de travailler moins sur les conseils de sa mère inquiète. Rien à faire.

«Je n'aimais pas ça, ça me fatiguait, dit-il. Que ce soit au travail, dans l'activité physique ou ailleurs, moi, je me donne à 100%. Dans chaque sphère d'activité, tu as des gens qui vont au bout de leurs rêves. Moi j'essaie d'aller jusqu'au bout des miens.»

«Le travail, ça te teste, ça t'amène à faire des réalisations, ça t'amène quelque part, ajoute-t-il. Ça t'amène de grandes joies et de grandes peines. Ça t'amène à savoir de quoi tu es fait.»

N'allez cependant pas croire que François Desjardins ne fait que travailler. Il dit aussi savoir décrocher. Pour ça, la pêche n'a pas son égal, vante-t-il. Mais il s'investit aussi beaucoup dans la restauration de sa maison. Récemment, il a réussi à soulager ses problèmes de genoux, une conséquence de vieux accidents sportifs.

«Je me suis remis à l'activité physique. Depuis janvier, j'ai perdu 45 livres. Et mon objectif, c'est beaucoup plus que ça.»

La vie est une question d'équilibre, explique-t-il. Et sa recette pour l'atteindre à de quoi laisser pantois tous ceux qui aspirent à ralentir le rythme.

«Je ne pense pas que ce soit sain de mettre trop d'accent sur un aspect de sa vie par rapport à d'autres, parce que ça crée un débalancement. Mais une personne a le choix d'augmenter la cadence dans toutes les sphères de sa vie et de vivre les choses intensément partout.»