«Où étiez-vous quand je me faisais voler? Pourquoi vous n'avez rien fait?»

Depuis quelques mois, Jean St-Gelais tient des conférences publiques avec le nouveau porte-parole de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Guy Mongrain.

Les deux hommes font des allocutions sur la prévention de la fraude financière, montrent des vidéos de sensibilisation aux investisseurs. Puis vient la période de questions.

«Et les questions, bien souvent, s'adressent à moi», dit M. St-Gelais, qui admet qu'elles ne sont pas toutes particulièrement cordiales. «Quand il y en a qui sont frustrés et qui veulent se défouler, ça fait partie de notre travail d'accueillir ça», dit-il simplement.

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À entendre parler Jean St-Gelais d'un ton calme et détaché, il est bien difficile de croire qu'il s'agit bien de l'homme qui s'est retrouvé à combattre les scandales financiers les plus médiatisés du Québec, et parfois dans la controverse. L'AMF fait d'ailleurs toujours l'objet d'un recours collectif de la part des 9000 victimes de l'affaire Norbourg, qui y ont perdu ensemble 130 millions de dollars. Selon eux, l'AMF les a mal protégés et n'est pas intervenue assez rapidement pour empêcher le financier déchu Vincent Lacroix de les dépouiller de leurs avoirs.

Mais M. St-Gelais n'est pas du genre à s'énerver. Le gendarme de la finance québécoise fait face aux critiques comme il combat les fameux «bandits à cravate» de la province: avec calme et méthode.

L'AMF aurait-elle dû être plus proactive dans le dossier Norbourg, en prenant davantage au sérieux les avertissements qui lui avaient été faits sur Vincent Lacroix?

«On n'a pas la prétention d'être parfaits, répond M. St-Gelais. Si on refaisait le film aujourd'hui avec ce qu'on connaît, peut-être qu'on ferait les choses différemment. Mais un organisme de réglementation ne peut garantir à tout le monde qu'il n'y aura pas de fraude.»

L'Autorité des marchés financiers dit avoir raffiné ses méthodes depuis les récents scandales. «On est plus systématique partout. On fait plus d'inspections. On essaie de voir quels sont les secteurs le plus à risque. Nos grilles qui font en sorte qu'on enquête ou pas sont constamment mises à jour. On fait de la cybersurveillance, on a acheté des équipements pour ça. On a grossi les équipes», dit Jean St-Gelais.

Sauf que même avec cette artillerie, le chef de la police financière du Québec ne rêve pas du jour où le Québec serait complètement débarrassé de ses fraudeurs.

«C'est comme si on demandait à la Sûreté du Québec de faire en sorte qu'il n'y ait pas de crime à Montréal: c'est une utopie, c'est une illusion. De la fraude, il y en a eu, il y en a encore et il va y en avoir plus tard.»

Est-ce à dire qu'un nouveau Norbourg est encore possible aujourd'hui?

«J'aimerais vous dire non, j'aimerais vous dire que je pense que ça n'arrivera pas. Mais ça pourrait arriver demain matin et vous me diriez que je vous avais dit le contraire», répond M. St-Gelais.

«Par nos publicités auprès des consommateurs, par nos inspections auprès des industries, on essaie de faire en sorte que les chances que ça se reproduise soient les moins grandes possible, continue le PDG. Mais il n'est pas dit que quelqu'un ait trouvé une façon de se faufiler et que ça éclate un moment donné.»

Le grand patron de l'AMF refuse toutefois d'entériner la thèse voulant que la fraude soit plus répandue aujourd'hui qu'avant. Ou qu'elle soit plus présente au Québec qu'ailleurs.

«À mon avis, il n'y a pas plus de scandales. Il y en a plus qui sont connus. Au Québec, des dossiers comme Norbourg ou Earl Jones, ça prend des proportions que ça ne prendrait pas dans d'autres provinces ou aux États-Unis. C'est beaucoup plus médiatisé – les journaux en parlent tous les jours.»

Il cite les scandales de Portus, en Ontario, et de Crocus, au Manitoba. «Ça a fait deux semaines dans les journaux, maximum. On en a vu un récemment en Alberta – ça a duré une semaine et on n'en entend plus parler. Et c'était aussi pathétique que ce qui s'est passé ici – les gens, de petits investisseurs comme ici, ne retrouveront pas leur argent.»