Dominic Barton n'oubliera jamais le 16 octobre dernier. Séjournant en Espagne, le grand patron de McKinsey s'apprêtait à passer un week-end en famille quand il a reçu l'appel fatidique. Anil Kumar, un des associés les plus connus de McKinsey, venait d'être arrêté pour délits d'initiés à New York. Il a reçu 2,6 millions$US d'un fonds de couverture pour livrer des secrets de ses clients. «J'étais sous le choc», dit Dominic Barton.

Ce n'est pas le premier scandale à frapper les luxueux bureaux de McKinsey, associée à la faillite spectaculaire d'Enron en 2001. Non seulement McKinsey avait-elle effectué des mandats de consultation pour Enron, mais la firme lui avait présenté son jeune consultant Jeffrey Skilling, qui deviendra plus tard le PDG d'Enron et l'un des principaux cerveaux de la fraude. «Enron a eu un effet sur nous, se rappelle Dominic Barton. Nous sommes fiers de nos PDG, et soudain, un des nôtres dirigeait le show lors de l'une des plus grandes faillites et des plus grandes fraudes de l'histoire des États-Unis.»

Les détracteurs de McKinsey pointent leurs mandats effectués pour Swissair et K-Mart, aussi victimes de faillites spectaculaires. Mais l'affaire Kumar est un scandale d'une ampleur inégalée. «Ça touche au coeur de McKinsey, dit-il. C'est embarrassant et humiliant, mais nous devons nous servir de ça pour devenir 100 fois plus fort. Je sais qu'on me jugera là-dessus. Nous n'avons pas perdu de clients existants, mais peut-être que cette histoire nous a coûté de nouveaux mandats. Nous ne le saurons jamais.»

En plus de gâcher son week-end familial en Espagne, l'affaire Kumar a forcé Dominic Barton à annuler un autre rendez-vous important à son agenda: une rencontre avec Barack Obama. «J'aurai une autre occasion de le rencontrer prochainement», dit celui qui a déjà visité quatre des huit leaders actuels du G8 – mais ne lui demandez pas lesquels!

À sa décharge, Dominic Barton a un horaire digne d'un chef d'État. À une différence près: il vit sur trois continents. Son bureau est à Londres, mais il n'y a pas mis les pieds depuis 10 semaines. Sa femme – l'arrière-arrière-petite-fille du brasseur John Labatt – fait sa maîtrise en arts à l'Université de Shanghai, où le couple a une résidence secondaire. Ses deux ados terminent leurs études secondaires à Singapour. La famille se réunit un week-end par mois – parfois en Asie, parfois à Londres, parfois à leur résidence principale à Toronto, parfois en Italie où ils ont une résidence secondaire.

Une fois que la poussière de l'affaire Kumar sera retombée, Dominic Barton veut procéder à de nouvelles embauches chez McKinsey. Il souhaite que la firme passe de 8500 à 12 000 consultants en 10 ans. Les nouveaux consultants de McKinsey ne devront pas seulement être les jeunes diplômés les plus brillants sur le marché du travail. Ils devront aussi passer le nouveau «test de l'avion» du grand patron.

«On m'a souvent dit que les gens de McKinsey étaient très intelligents, mais qu'on aimerait mieux ouvrir la fenêtre et sauter en bas de l'avion que de passer tout un vol à côté d'eux, dit Dominic Barton. La perception, c'est que les gens de McKinsey sortent tous du même moule et qu'ils sont arrogants. Nous devons être plus relax.»

Avis aux futures recrues de McKinsey: le grand patron, lui, a passé avec succès ce même test. C'était au début des années 90, quelque part dans les airs entre New York et Londres. Son compagnon de vol? Mick Jagger, le chanteur des Rolling Stones, qui lui jasait affaires et gestion de marque entre deux signatures d'autographes. «Quand il a su que j'étais de McKinsey, il m'a demandé ce qu'il pouvait faire pour améliorer sa marque, se rappelle Dominic Barton. C'était l'époque où David Bowie avait bien réussi ça. Jagger savait très bien de quoi il parlait. Je ne veux donc prendre d'aucune façon le crédit pour la commercialisation des Rolling Stones...»