Son entreprise a enregistré la plus forte croissance de toutes les boîtes de technologie du pays au cours des cinq dernières années. Lui-même a figuré au palmarès des meilleurs gestionnaires de moins de 40 ans en 2008. Aujourd'hui, Jacques Drouin veut faire de ProSep une véritable multinationale. Quitte à empiéter, encore, sur ses heures de sommeil.

Été 2008. Jacques Drouin recommence peu à peu à respirer normalement. Un an plus tôt, le tout jeune patron de la boîte montréalaise ProSep a joué d'audace en avalant une entreprise norvégienne presque deux fois plus grande que la sienne. Et il sent finalement qu'il viendra à bout des immenses défis d'intégration générés par une telle bouchée.

«Tu te dis: bon, là, c'est fini. Et là, bang! La pire récession des 50 dernières années te tombe dessus. Avec le prix du pétrole qui s'effondre... Imagine: tu as 37 ans, tu n'as jamais vécu ça...»

ProSep - abréviation pour «les professionnels de la séparation» - vend des systèmes qui permettent de séparer l'eau, le pétrole et le gaz. Ses clients: les grandes pétrolières, qui doivent séparer ces matières qui sortent mélangées des puits qu'elles creusent dans le sol ou au fond des mers.

Inutile de dire que ces entreprises n'avaient pas le coeur à investir l'an dernier. Jacques Drouin a donc passé l'année 2009 à naviguer en pleine tempête. Compte-t-il reprendre son souffle cette année?

«Non! répond le principal intéressé. L'année 2010 va être une année de changements - encore! On est en train de se sortir de la récession, et il y a beaucoup de travail à faire pour se repositionner pour la croissance.»

La croissance. Si celle-ci n'a pas été au rendez-vous l'an dernier (les ventes ont chuté de 52 à 41 millions entre 2008 et 2009), il reste qu'elle a été au coeur de l'histoire de ProSep.

Malgré le récent ralentissement, l'entreprise a raflé la toute première position du «Fast 50» 2009 de la firme Deloitte, qui recense les entreprises technologiques ayant connu la plus forte progression au cours des cinq dernières années. De 2004 à 2009, ProSep a connu une croissance de 18 000%. Vous avez bien lu: 18 000%.

Et pour Jacques Drouin, il n'est pas question de s'arrêter maintenant. «Notre but, c'est de bâtir une entreprise qui va faire 300 ou 400 millions de chiffre d'affaires, dit-il. Il va falloir qu'on fasse des acquisitions, il va falloir qu'on prenne un élan. Parce que c'est comme ça qu'on va pouvoir bâtir une entreprise viable.»

Vous l'avez compris: à 40 ans, Jacques Drouin n'est pas sur le point de ralentir. Son travail le mène aujourd'hui de Montréal à Bahreïn en passant par Houston, la Norvège et la Malaisie, tous des endroits où ProSep possède des bureaux.

«Le tiers du temps, on n'est pas ici. Là, on est sur le point de s'envoler pour l'Australie et l'Asie. C'est une vie excitante, mais qui est dure. C'est dur pour le corps, pour tes enfants, ta femme, tes amis...»

Des tours à bureau au garage

Mais Jacques Drouin ne peut pas se plaindre. Cette vie, il l'a choisie.

L'homme a passé les premières années de sa carrière à faire du financement et du redressement d'entreprise pour des firmes comme KPMG et Deloitte. Il a 34 ans quand il décide subitement de laisser les tours à bureau du centre-ville... pour un garage de la rue Saint-Antoine.

Le pari est loin d'être celui de la stabilité: Jacques Drouin va rejoindre cinq hommes qui planchent sur une technologie supposément capable de séparer l'eau du pétrole. Inventée par un Polonais, la technique n'est toutefois pas totalement fonctionnelle, et une entreprise s'est déjà cassé les dents en essayant de la mettre au point. Au moment où Jacques Drouin arrive, le Fonds de solidarité FTQ et Innovatech viennent d'intervenir pour en sauver la propriété intellectuelle.

«Je voulais aller voir dans la vraie vie», dit Jacques Drouin pour expliquer ce saut dans le vide.

«Juste pour te donner une idée à quel point, au début, c'était bas niveau: on avait un scientifique, et il faisait ses dessins techniques sur Word. Sur Word!»

Jacques Drouin rigole. «On est vraiment partis au bas de l'échelle.»

M. Drouin n'est pas le seul à faire le saut: Alain Ferland, ancien président de la pétrolière Ultramar, fait aussi partie de l'aventure. M. Ferland devient président de l'entreprise; Jacques Drouin, lui, prend les rênes des finances.

Dénicher de l'argent, mettre au point la technologie, trouver des marchés: la petite équipe, qui s'appelle alors Torr Canada, divise le travail en trois volets et pousse chacun d'eux à fond. L'affaire finit par décoller.

«Un moment donné, on a vendu à Schlumberger (une multinationale du pétrole). On a fait une importante vente dans la mer du Nord pour un système qui traite 160 000 barils d'eau par jour. On a vendu sept systèmes à Kuwait Oil Company. Et pendant ce temps, les marchés des capitaux étaient favorables, alors on a levé beaucoup d'argent. On était dans le cycle qui montait. On a eu beaucoup de plaisir», dit Jacques Drouin.

Trois ans plus tard, l'entreprise compte 50 employés et génère des ventes annuelles de 25 millions.

L'euphorie est là, mais la société réalise qu'elle est vulnérable: sa progression ne repose que sur un seul produit.

C'est là que Jacques Drouin pilote l'achat de Pure Group, une entreprise norvégienne beaucoup plus grande que celle qu'il dirige. Pourquoi Pure Group? Parce qu'en plus d'être capables d'extraire le pétrole de l'eau, les Norvégiens ont des systèmes complets qui séparent le gaz, le pétrole et l'eau. Et c'est ce dont les pétrolières ont besoin.

«C'était David qui achetait Goliath, raconte M. Drouin. Pure Group, c'était ma stratégie, c'était mon bébé. Le conseil d'administration m'a d'ailleurs nommé président une semaine après la clôture de la transaction.»

L'entreprise troque son nom de Torr Canada pour ProSep, puis s'attaque aux défis de l'intégration. Quand la crise financière survient, l'entreprise s'est tellement endettée pour financer sa croissance que Jacques Drouin avoue avoir eu chaud.

«On avait un problème de dette et je le savais, dit-il. Au quatrième trimestre de 2008, c'était comme la fin du monde. On était tous assis dans le bureau. On s'est regardés et on a dit: bon. Avec un peu de chance, la banque à qui on doit de l'argent va faire faillite...»

Avec l'aide de ses actionnaires, ProSep finira par convertir une bonne partie de sa dette en capital-actions. Aujourd'hui, Jacques Drouin parle encore d'acquisitions. Trop agressif, le grand patron?

«On ne sera pas plus prudents dans notre expansion, répond Jacques Drouin. Mais on va être plus prudents dans la façon dont on la finance, par exemple.»

Verte, ProSep?

«Entreprise de technologies propres.» Voilà comment on décrit souvent ProSep. Mais en abordant le sujet avec Jacques Drouin et Danielle Ste-Marie, directrice du marketing et des communications de l'entreprise, on sent clairement une hésitation.

Alors? Verte ou pas, ProSep?

«Tu assistes à un débat. Tu le sens: on n'a pas de position claire, finira par lancer Jacques Drouin. Et ça vient de quoi? C'est simple. Le marché nous perçoit comme une entreprise de technologies propres. Si on prend la définition large, oui, nous sommes une clean tech. Le problème, c'est qu'il ne faut pas se leurrer nous-mêmes. Nous sommes une entreprise qui essaie seulement de bien faire les choses.»

ProSep commercialise plusieurs technologies qui permettent aux pétrolières d'être moins polluantes - en retirant le pétrole des eaux qu'elles rejettent à la mer à partir des plateformes au large, par exemple. Ou en nettoyant des produits pétroliers de leur gaz carbonique, qui pourra ensuite être capté au lieu d'être rejeté dans l'atmosphère.

Sa réputation environnementale vient aussi du fait que l'un de ses principaux actionnaires est Cycle Capital, un fonds de capital-risque québécois consacré aux technologies propres.

Mais ProSep vend aussi des produits qui permettent aux pétrolières de faire leur travail, point final. Et ce travail, on le sait, a souvent des conséquences environnementales néfastes.

«Parmi nos technologies, il y en a qui sont vertes. Et il y en a qui ne sont pas vertes», résume franchement Jacques Drouin.

«En fait, c'est simple: notre centre d'intérêt, c'est le client, continue le grand patron. Moi, je n'ai pas de remords à faire des affaires. Je ne pousserai pas dans la gorge des clients des produits qu'ils ne veulent pas, et je ne ferai pas de lobby auprès du gouvernement pour pouvoir forcer mes produits. Je ne suis pas un militant au sens écologiste du terme.»

Bref, ProSep met les produits les plus performants possible sur le marché, dit M. Drouin. «Et l'un des critères de performance, c'est l'empreinte environnementale. Et c'est un critère appelé à prendre de plus en plus de place dans l'industrie.»

 

18 000%

C'est la croissance que ProSep a connue, de 2004 à 2009. Vous avez bien lu: 18 000%. Malgré le récent ralentissement, l'entreprise a raflé la toute première position du «Fast 50» 2009 de la firme Deloitte, qui recense les entreprises technologiques ayant connu la plus forte progression au cours des cinq dernières années.