Ils sont les yeux d'un aveugle. Les mains et les pieds d'un paraplégique. La nounou d'un enfant autistique. En plus d'être leur grand confident et leur fierté. Ce sont là quelques-uns des rôles-clés confiés aux chiens Mira. Et ils les accomplissent avec un amour sans borne pour les personnes handicapées dont ils s'occupent. Tel un cadeau du ciel, 2017 chiens ont été gracieusement attribués depuis le jour où Éric St-Pierre décida de se lancer dans le dressage de chiens-guides.

Bienvenue au royaume de Mira, à Sainte-Madeleine, P.Q.

Mais pour M. St-Pierre, âgé de 63 ans, il reste encore un rêve à réaliser: assurer la pérennité de la Fondation Mira. Comment son fondateur et PDG entend-il s'y prendre? «En ne laissant aucune dette derrière moi, tout en comptant sur des installations de premier plan et sur une fondation financièrement solide», dit-il.

Une «grosse» business

Mira est devenue une «grosse» business, avec un budget d'exploitation de presque 6 millions de dollars, quelque 80 employés à plein temps, une trentaine de surnuméraires, des installations modernes (pouponnière, chenil moderne, centre d'hébergement pour les stages de formation, clinique vétérinaire, laboratoire d'entraînement, etc.); 700 chiens dans la rue (c'est-à-dire actifs); un cheptel de 300 chiots, etc. M. St-Pierre apporte une précision: «C'est en effet une grosse patente. Il y a par contre une importante nuance à apporter: au niveau financier, tu ne fais pas hériter personne, ni même toi, de l'ouvrage qui a été fait. Mais le reste, c'est pareil comme une business. On reçoit maintenant un salaire décent, on a les outils... pour travailler adéquatement, etc.»

«Si Mira est reconnue aujourd'hui à l'échelle internationale, ajoute M. St-Pierre, c'est grâce à la générosité des Québécois qui l'ont toujours soutenu depuis le départ. Mira ça appartient aux Québécois.»

Depuis sa création en 1981, Mira survit sans aide gouvernementale.

«Au début, c'était la crise économique. On nous disait qu'il n'y avait pas d'argent pour nous. Plus tard, on nous disait: les Québécois vous aiment, vous êtes capable de vous débrouiller tout seul.»

Conséquemment, la fondation s'est toujours autofinancée par l'entremise de campagnes de souscription réalisées par une armée de bénévoles. Les sources sont multiples: vente d'articles de tout acabit à l'effigie de Mira (épinglettes, macarons, porte-clés, chandails, affiches, tapis à souris, toutous); organisation d'événements-bénéfices (souper spaghetti les yeux bandés; course d'autos avec aveugles au volant, etc.); campagnes de dons; etc.

Mira compte également sur l'appui de plusieurs partenaires, dont notamment: Eukanuba (nourriture des chiens); Institut Nazareth et Louis Braille (services aux aveugles); les centres de réadaptation du Québec (services complémentaires en matière d'orientation, mobilité et de chien-guide); la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal; la Fondation Marcelle et Jean Coutu (pour le nouveau centre de recherche et développement axé sur l'aide qu'un chien Mira peut apporter à un enfant autistique...); Publicis Canada et son président, Yves Gougoux; Unifoods.

Des premières

Il y a de quoi être fier de Mira, dont les «premières» sont légion: première école francophone de dressage de chiens-guides en Amérique; première école de chiens-guides au Canada; inventeur d'une nouvelle race de chiens, le Labernois (croisement du Labrador avec un Bouvier bernois); et la première et seule école au monde de dressage de chiens-guide ou d'assistance destinés à des enfants de 16 ans et moins.

En outre, si jamais vous croisez un chien Mira au coin d'une rue à New York, Paris, Rio de Janeiro, Mexico, Vancouver, Toronto ou St-John au Nouveau-Brunswick, n'ayez crainte, vous n'hallucinez pas.

Mira est devenue une sorte de petite multinationale du «pitou d'assistance» pour personnes handicapées. On retrouve des «filiales» en France, aux États-Unis, au Brésil, au Nouveau-Brunswick, etc. Bien que financièrement autonomes, ces filiales étrangères importent des chiens Mira de souche québécoise. Les chiens proviennent tous d'ici. Mira leur fournit des chiens qui ont complété leur entraînement, prêts à remplir leur vocation de chien-guide ou d'assistance. Il s'agit, pour le moment, d'un service d'exportation clés en main!

Anecdote révélatrice. À la fin de l'entrevue, Éric St-Pierre me fait faire le tour des installations de Sainte-Madeleine.

Sitôt que j'entre dans le chenil avec lui et son bras droit, le psycho... physiologue Noël Champagne, la centaine de chiens aboient en choeur... sauf le trio de la cage 15.

Sages comme des images, les trois chiens sont au garde-à-vous. Silence complet. Ils n'ont de yeux que pour Éric. Il ouvre la porte. Les chiens gardent le fixe. À tour de rôle, lorsque Pinceau (Labernois), Ecko (Labrador) et Ballie (Bouvier bernois) entendent le signal qui leur est destiné, ils sortent de la cage et viennent s'asseoir en statut à côté de lui, attendant le prochain signal. Pleinement concentrés, notre conversation ne les dérange pas une miette. Et au signal donné, chacun des chiens rentre dans la cage, se remet au garde-à-vous... jusqu'à notre départ.

Ce sont les trois chiens entraînés par le grand maître de la place. Malgré les contraintes de sa fonction de président-directeur général de la Fondation Mira, Éric St-Pierre tient absolument à rester entraîneur, sa grande passion. Voilà pourquoi il s'occupe personnellement d'entraîner à longueur d'année une poignée de chiens à devenir chiens-guide ou chiens d'assistance.

Et en même temps, ça lui permet de montrer les rudiments de l'entraînement aux «petits». Ah oui! Les «petits» c'est le surnom donné aux jeunes recrues embauchées par Mira pour devenir entraîneurs.

Une passion

Éric St-Pierre a toujours eu une passion pour les chiens.

Son cheminement?

«Pour te dire comment j'aimais les chiens... Moi chez nous, à sept huit ans, j'entraînais les chiens pour les vaches et les chiens pour les voisins. C'est mon père qui m'a montré le métier. On vivait sur une ferme entouré d'un paquet de chiens. Mon père m'a enseigné le feeling de la patience. D'observer ça. Puis de regarder. De prendre son temps. Puis de trouver les meilleurs temps pour être efficaces avec les chiens.»

Arrive l'adolescence. Éric devient chanteur et en 1967: il est proclamé «révélation de l'année». Il fait le tour des populaires émissions telles Jeunesse d'aujourd'hui, Lautrec.

«Plus tard, ma courte carrière de chanteur m'a réellement bien servi. Le milieu artistique m'a toujours supporté d'une façon extraordinaire.» Après cette époque yéyé? «Il fallait que je gagne ma vie. Évidemment, c'était un petit peu tough de me dire: tu as été révélation... pis vedette. Puis là, tu retournes travailler. Vas-tu être chauffeur de truck ou opérateur de bulldozer...»

«Comme j'avais bonne réputation d'entraîneur de chiens, les gens m'appelaient. À partir de cela, je suis allé suivre un cours un peu plus poussé. Pas longtemps. Compte tenu de ma facilité avec des chiens qui étaient agressifs, je me suis ramassé à contrats pour des grosses agences de sécurité. J'ai fait du chien de sécurité, en masse. Détection, chien de police...»

«Je gagnais ma vie avec ça. Dans ce temps-là, on travaillait beaucoup. Il y avait des grèves. On était sur les chantiers de construction. Ça brassait durant les années 70...»

Comment est arrivé Mira?

«Un moment donné, j'étais tanné de faire du chien de garde agressif. J'avais mon voyage de me promener avec des chiens qui viennent les dents pleines de sang parce qu'ils mordent les grillages. Et le hasard a voulu qu'une amie travaillant à l'Institut Nazareth et Louis Braille lui demande d'aider un aveugle qui en arrachait avec son chien-guide américain.»

«Tu ne connais pas ça les chiens-guides, mais tu parles au chien. Essaie donc de lui régler son problème?» lui avait-elle demandé.

À partir de cette petite expérience avec le chien-guide américain, Éric St-Pierre est tombé en amour avec l'idée de dresser des chiens-guides pour aveugles.

Voilà la bougie d'allumage de Mira.