On est loin de l'image classique, voire caricaturale, du directeur d'opéra ampoulé qui cause culture en sirotant ses bulles. Pierre Dufour joue au hockey, avoue sans gêne lire les journaux à potins et fait des montées de lait contre «les têteux de tickets». Et, plus important encore, il a réussi en un temps record à sortir du rouge les finances de l'Opéra de Montréal.

Peu importe l'organisation, la transformation serait remarquable: effacer une dette de 2,2 millions, qui représente 30% du budget annuel, en l'espace d'un an et demi. C'est comme si le gouvernement du Québec réussissait à effacer 20 milliards de sa dette en 18 mois...

 

Assis dans son bureau de la Place des Arts, l'homme derrière ce revirement des dernières années reprend son souffle. En bas, dans la salle de répétition E, on vient d'annoncer la programmation de la 30e saison de l'Opéra de Montréal. Au menu, il y aura notamment Simon Boccanegra, de Verdi, et la reprise de Nelligan, du duo québécois André Gagnon et Michel Tremblay... en plus d'un budget équilibré, espère Pierre Dufour.

«Mais il va falloir redoubler d'efforts», précise tout de suite le directeur général, qui sait que les nouvelles économiques sont plutôt décourageantes. «Je suis quand même confiant. Je veux être confiant par rapport à l'avenir.»

Lancé en août 2006, le plan de redressement de l'Opéra de Montréal a fait quelques victimes: de 25, le nombre d'employés permanents est passé à 12 avant de remonter à 14. «On a coupé tout ce qu'on pouvait couper», résume M. Dufour.

Il avoue avoir eu ses doutes au tout début, avoir craint que son plan de relance ne fonctionne pas. «Je m'étais dit, nous, on peut avoir les meilleures pensées au monde, avoir la meilleure planification, avoir les meilleurs artistes sur scène, mais s'il ne se crée pas de la chimie avec le public, on oublie ça.»

Ainsi donc, Pierre Dufour et son équipe réduite se sont lancés dans une opération charme, avec pour thème «Montréal mérite son opéra». Dans les faits, on a multiplié les opérations portes ouvertes et offert des minirécitals jusque dans le métro. Il a même envoyé ses vedettes dans des émissions de télé populaires comme Star Académie et Occupation double. Tout pour se rapprocher des gens.

«Moi, je lis le 7 Jours, les magazines, Échos Vedettes (...) Le star system théâtral existe à Montréal, on le connaît, on reconnaît ses artistes de théâtre et on va les voir. Au niveau de l'opéra, ça devrait être la même chose et ça peut exister.»

Tout aussi pour changer la réputation de l'opéra, qui rend la vente de billets au plus grand nombre difficile. «On croit beaucoup au fait d'aller chercher les gens un à un, d'aller chercher les commanditaires un à un. C'est un travail inlassable, c'est un travail de longue haleine. Il faut se rappeler qu'on a une forme d'art - je ne suis pas musicologue, je n'ai pas cette prétention-là - qui s'est élitisée au cours du XXe siècle.»

Un des défis de l'Opéra, c'est qu'il doit faire face à deux publics: d'un côté, ses abonnés de longue date, plus conservateurs; de l'autre, des jeunes plus ouverts à de nouvelles productions, que l'Opéra tente d'attirer.

Pour conserver un équilibre entre ces deux publics, l'audace dans la programmation doit être servie avec modération. «Si les gens connaissent moins (une oeuvre), les gens viennent moins.»

Des jeunes

Aujourd'hui, environ 30% des abonnés de l'Opéra sont des jeunes de 18 à 30 ans. Notez par contre qu'ils doivent acheter seulement deux des six productions à 30$ le spectacle pour être considérés comme abonnés, contre quatre représentations pour leurs aînés. «Je vous dirais qu'ils reviennent, dit M. Dufour en parlant des jeunes. On a un taux de rétention qui est quand même moins fort que pour nos abonnés habituels, les gens qui nous accompagnent depuis plusieurs années.»

Parmi ces jeunes, on compte nombre d'étudiants étrangers qui retournent dans leur pays après leurs études. Mais aussi, de futurs parents qui, la trentaine venue, sont de moins bons clients de la scène culturelle.

Comme au Centre Bell?

Au total, avec ses 6600 abonnés, l'Opéra fait mieux que pendant le creux de 5500 il y a quelques années, mais il est à des années-lumière de la fin des années 80, quand il avait presque le double de spectateurs fidèles. Aujourd'hui, environ 45% du public dans la salle sont des abonnés.

«Le marché a changé, l'abonnement a changé. Posez-moi la question en tant qu'administrateur si je ne serais pas intéressé à avoir 75% d'abonnement, je vous dirais oui (...) Financièrement, c'est plus rentable si on vend juste des billets simples (au guichet, donc plus chers), mais, en même temps, c'est beaucoup plus insécurisant.»

Sa prochaine approche pour vendre plus de billets s'inspirera du Centre Bell où les loges et autres billets achetés par des entreprises sont légion. Au lieu de brasser des affaires entre deux verres de Molson, les gens d'affaires pourraient profiter de soirées VIP à l'opéra. «Tout est possible, explique-t-il: petit salon avant, visite à l'arrière-scène, rencontre avec les artistes, vivre un soir de première. Il y a vraiment des combinaisons qui peuvent être faites pour tous les goûts.»

Et les spectateurs de s'écrier: Let's go, Puccini, let's go!

L'OPÉRA EN CHIFFRES

Budget

8,4 millions

Revenus autonomes

52%

Subventions

24,5%

Québec 60%

Ottawa 34%

Montréal 6%

Philanthropie

23,5%

Employés permanents

14

Nombre d'abonnés

6600