C'est le début de la saison dans le hockey mineur et ça joue dur dans les magasins spécialisés. La concentration a franchi un seuil critique au pays, en particulier au Québec, avec l'achat de Sports Gilbert Rousseau par Canadian Tire il y a un an. Comment l'industrie réagit-elle à ces bouleversements? Comme il y a moins de concurrence, les parents sont-ils condamnés à payer plus cher pour équiper leur progéniture ?

CANADIAN TIRE DOMINE LA PARTIE

Fini la rigolade pour les parents. Les derniers jours d'août marquent à la fois le début des classes et le lancement de la saison de hockey pour les jeunes. Il est temps d'allonger les dollars et d'équiper fiston, qui a eu la mauvaise idée de grandir de 4 cm pendant les vacances estivales. Que les consommateurs le veuillent ou non, c'est Canadian Tire qui tirera profit de leurs emplettes de la rentrée.

En novembre 2012, Canadian Tire a acheté les 23 grandes surfaces appartenant à Sports Gilbert Rousseau. La transaction s'est conclue en août 2013. Cette acquisition par le détaillant au triangle rouge avait été précédée en 2011 par l'achat du Groupe Forzani, franchiseur des bannières Sports Experts, Intersport et Hockey Experts au Québec.

Canadian Tire détient donc maintenant les bannières Sports Experts, Intersport, Hockey Experts, Entrepôt du hockey et Sports Gilbert Rousseau.

Mark Donavan, président-directeur général du groupe d'achat Sports Excellence Corporation (SEC), qui approvisionne 36 magasins au Québec, estime que la part de marché de Canadian Tire au Québec oscille entre 70 et 80 % dans le produit hockey.

C'est certainement le cas dans l'île de Montréal et à Laval, où le groupe Canadian Tire/FGL Sports (anciennement Groupe Forzani) compte 41 points de vente. Les principaux concurrents, La Source du Sport, Sports Excellence, Play it Again Sports et Sports aux puces, ont neuf magasins en tout, dont un seul à Laval.

UN POIDS LOURD

Une telle domination n'est pas sans soulever des questions sur la libre concurrence dans la vente d'équipements de hockey, notamment au Québec, où Sports Experts, Hockey Experts et Sports Gilbert Rousseau pèsent plus lourd qu'ailleurs au pays.

« Notre objectif avec l'acquisition de Sports Rousseau était d'atteindre une masse critique et de devenir le leader dans le marché, ce qui nous donne la possibilité d'offrir aux consommateurs une gamme étendue de produits dans le plus grand nombre de magasins possible avec un service de qualité », a dit à La Presse Affaires Jean-Stéphane Tremblay, vice-président principal, Franchise, de FGL Sports.

M. Tremblay a ajouté que Canadian Tire et sa division FGL Sports sont gérés séparément, bien qu'ils fassent partie du même groupe. Il n'a pas voulu divulguer la stratégie qu'entend déployer FGL à l'avenir.

Au moment de la conclusion de la transaction, il y a un an, le président de FGL Sports, Michael Medline, qui deviendra PDG de Canadian Tire en décembre prochain, avait soutenu qu'il ne manquait pas de concurrence dans le marché du hockey.

« Le Canada est le plus vaste marché de hockey de la planète et il y a une tonne de concurrents, y compris de plus en plus de détaillants en ligne. » - Michael Medline, président de FGL Sports, après la transaction avec Canadian Tire

L'ARBITRE NE VOIT PAS DE PROBLÈMES

Le Bureau de la concurrence du Canada a autorisé la transaction en février 2014 après une minutieuse enquête de plus d'un an, une durée exceptionnelle.

Des renseignements auprès des fournisseurs ont été obtenus par ordonnance du Tribunal en vertu de l'article 11 de la Loi sur la concurrence. Les concurrents ont été rencontrés. « J'ai été consulté cinq ou six fois dans le processus », reconnaît M. Donavan, de SEC, qui aurait préféré une conclusion différente, sans trop l'espérer.

« La transaction n'est pas susceptible d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché de la vente au détail d'équipements de hockey et d'articles liés au hockey », a conclu le Bureau.

Dans son énoncé, le chien de garde en matière de libre concurrence au pays reconnaît néanmoins que les prix étaient plus bas dans les secteurs où se trouvaient en concurrence Sports Gilbert Rousseau et FGL Sports, par rapport à un marché où Forzani agissait seul.

« Ce n'est pas qu'une question de parts de marché ou de magasins qui restent, a précisé dans un entretien Anthony Durocher, sous-commissaire adjoint de la concurrence. Dans le commerce de détail, on tient aussi compte des ventes possibles dans le futur en regardant la capacité des concurrents de faire croître leurs revenus. »

Dans le cas qui nous occupe, les barrières à l'entrée de nouveaux joueurs ou à l'expansion de joueurs existants restent faibles, a observé le Bureau, ce qui lui laisse croire que des augmentations de prix substantielles et durables seraient insoutenables.

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INTERNET, UN JOUEUR À SURVEILLER

Il y a trois ans, Éric Légaré rêvait de lancer son entreprise, sans savoir encore laquelle. Par ailleurs, ce joueur de hockey frustré était insatisfait du service dans les grandes surfaces comme Rousseau et ne parvenait pas à trouver le bâton qu'il cherchait dans les boutiques spécialisées.

Bien de son temps, il s'est mis à magasiner sur le web. Les meilleurs sites, comme Hockey Monkey, étaient américains. Les prix étaient bons, mais l'expédition des produits tournait chaque fois à l'aventure et revenait cher, surtout quand les droits de douane s'ajoutaient à la facture.

Un jour, en allant sur Google Trends, il réalise que les principaux utilisateurs de Hockey Monkey proviennent des grandes villes canadiennes. Ces consommateurs devaient logiquement vivre les mêmes frustrations que lui. Du coup, Éric Légaré venait de trouver son idée d'entreprise. Hockey Suprématie était né.

Aujourd'hui, son site de hockey est le deuxième au Canada pour le nombre de visites, après celui de Rousseau/Pro Hockey Life. Il est en outre le premier pour les revenus, soutient son président, un ancien du Collège Jean-de-la-Mennais, titulaire d'un bac en gestion hôtelière de l'UQAM en collaboration avec l'ITHQ.

Ce qu'il vend le plus, ce sont les bâtons, des produits faciles à comparer et à commander. Les patins arrivent en deuxième. La marchandise de l'année précédente est offerte en liquidation.

LARGE INVENTAIRE

L'une des grandes forces du web, selon M. Légaré, c'est qu'on peut rejoindre aisément une clientèle qui n'a peut-être pas accès à une grande surface ou qui a des besoins auxquels les détaillants traditionnels sont incapables de répondre, comme des patins de largeur EE ou un pantalon bleu royal XXL. « Pour un détaillant, ce n'est pas envisageable de tout offrir. Ici, on a pas mal tout en stock. »

Environ 85 % des commandes web de Hockey Suprématie sont expédiées hors Québec.

L'entrepreneur de 29 ans a ouvert deux boutiques pour répondre à la demande locale, la première au siège social, à Candiac, et la seconde sur le boulevard Taschereau, à Brossard, à côté du complexe Les 4-Glaces. Il n'en prévoit pas d'autre. « Le hockey n'est pas un marché qui connaît une forte expansion », explique-t-il.

Il soutient que ses ventes annuelles excèdent largement le million de dollars, mais il refuse d'être plus précis. Le taux de croissance annuelle atteint 65 %.

Un objectif ambitieux à long terme serait de chauffer son concurrent Hockey Monkey, qui vend aussi de l'équipement de baseball. Hockey Monkey a enregistré des revenus de 86 millions US en 2013, selon la publication Internet Retailer.

Le rêve est moins fou qu'il n'y paraît : les marchés canadien et américain de hockey sont de taille comparable, et le commerce électronique au Canada accuse du retard par rapport à son voisin.

Selon le site Nextopia, les ventes en ligne au Canada devraient atteindre 34 milliards en 2016, pratiquement le double des chiffres de 2012. Les auteurs du site soulignent que les ventes d'articles de sport ont bondi de 105 % à l'occasion du cyberlundi de 2013 comparativement à 2012. Pour Éric Légaré, la frustration n'a plus sa raison d'être.

HOCKEY SUPRÉMATIE EN UN COUP D'OEIL

Créé en 2011

Ventes en ligne d'équipements de hockey

Siège social : Candiac

Fondateur et propriétaire : Éric Légaré, 29 ans

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DEUX ADVERSAIRES CONTRE-ATTAQUENT

L'absorption de Sports Gilbert Rousseau/Pro Hockey Life par Canadian Tire en août 2013 a créé chez les marchands d'équipement de hockey une onde de choc dont les effets n'ont pas fini de se faire sentir.

Les principaux concurrents de Canadian Tire, comme La Source du sport et Sports Excellence Corporation (SEC), cherchent à croître ici comme aux États-Unis en vue d'augmenter leur pouvoir d'achat pour rivaliser avec le leader incontesté du marché. La fusion de ces principaux groupes d'achat au pays paraît pour le moment exclue. Trop de marchands de l'un et l'autre des réseaux sont en concurrence directe dans la même ville ou le même territoire exclusif. Tous cependant sont conscients de la situation.

« Les craintes que nous avons dans l'industrie est que Canadian Tire se serve de son pouvoir d'achat pour obtenir un avantage quasiment monopolistique, surtout au Québec, où Sports Experts et Sports Rousseau sont forts », dit Mark Donavan, PDG de Sports Excellence Corporation (SEC), groupe d'achat dont le siège est à Pointe-Claire et dont les membres exploitent 130 boutiques au Canada, dont 36 au Québec.

« Canadian Tire peut aller chercher des marges supérieures auprès des fournisseurs, soutient M. Donavan. Le groupe sera alors en position soit de gagner une guerre de prix, soit de dégager de meilleurs profits, qu'il réinvestira ailleurs dans l'entreprise pour mieux nous concurrencer. Ce sont les deux aspects que nous craignons le plus. »

DES FRANCHISES POUR SPORTS ROUSSEAU

Le premier effet tangible de la transaction s'est produit en juin dernier, quand FGL Sports (ex-Forzani) a entrepris la conversion en franchises des neuf magasins Sports Gilbert Rousseau au Québec - les autres magasins de FGL au Québec sont aussi des franchises. Les magasins Pro Hockey Life, le nom de Sports Gilbert Rousseau hors Québec, resteront « corporatifs ».

Face au groupe Canadian Tire/FGL, des détaillants indépendants ont entrepris des démarches pour se joindre à un ou l'autre des groupes d'achat d'envergure nationale. Le nombre de magasins membres de SEC a augmenté de 25 % dans l'ouest du pays.

« Les marchands indépendants réalisent qu'ils sont devenus plus à risque que jamais. Le terrain n'a jamais été aussi propice à l'expansion. » - Mark Donovan, PDG de Sports Excellence Corporation

L'expansion des groupes d'achat dépasse les frontières du Canada. « Il faut maintenant assurer un volume d'achat significatif auprès des fournisseurs. Si on est incapable de le trouver au Canada, il faut le chercher ailleurs », dit Mark Donavan.

Le PDG a un oeil sur les États-Unis, où la pratique du hockey a crû de 5 % annuellement dans les cinq dernières années, comparativement à une croissance globale de 2 %. Des marchands américains participeront au grand salon national de SEC qui aura lieu en novembre à Gatineau.

La même stratégie s'applique à La Source du sport, qui compte 215 magasins au pays, dont 19 au Québec. « Ça fait plusieurs années qu'on flirte avec les Américains, dit Alain Brisson, propriétaire de Marc Sports La Source du sport, un magasin de 15 000 pieds carrés à Gatineau. Depuis janvier 2014, on a neuf membres américains. Et on va avoir bientôt une filiale américaine. »

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HISTOIRES DE DÉTAILLANTS

SPORTS AUX PUCES AJOUTERA HUIT POINTS DE VENTE

La chaîne de 15 magasins Sports aux puces se sent à l'abri de la concurrence, en raison de son créneau bien particulier. « On se considère comme un monde à part, dit Michel Benoit, copropriétaire de la chaîne qui a vu le jour en 1980. Ce que les autres ne font pas, c'est que nous récupérons l'équipement usagé. » Le hockey représente 70 % du volume d'affaires de la chaîne, qui vend aussi du neuf.

Son concurrent direct, la chaîne Play it Again Sports, d'origine américaine, fait aussi dans l'usagé. Il ne reste que trois adresses de Play it Again au Québec, toutes dans l'île de Montréal.

En 2015, Sports aux puces ouvrira quatre magasins, à Gatineau, Saint-Eustache, Québec et Sherbrooke. À plus long terme, la chaîne souhaite trouver des franchisés à Saguenay, Rimouski, LaSalle et Granby. M. Benoit estime qu'un magasin Sports aux puces requiert un bassin de 100 000 personnes pour prospérer. D'ici 2017, avec huit nouveaux points de vente, il souhaite franchir le cap des 25 millions en revenus.

DE SPORTS EXPERTS À LA SOURCE DU SPORT

Sport Campus de Verdun, propriété de Laurent Gagnon, est l'un de ces détaillants qui ont joint un groupe d'achat d'envergure nationale. Autrefois marchand Intersport/Sports Experts, il a quitté la famille en 2011, quand Canadian Tire a racheté le Groupe Forzani. M. Gagnon craignait que le souci du service à la clientèle ne se perde. Il s'est joint à la Source du sport, la chaîne numéro 2 au Canada.

« Mes frais annuels sont passés de 100 000 $ à 15 000 $. Je peux maintenant faire de la publicité où je veux, j'ai plus de liberté », dit l'homme d'affaires qui, à titre de marchand La Source du sport, détient une participation dans le mouvement et touche une part des profits réalisés par le groupe d'achat.