Déjà empêtrée dans le pire scandale de corruption de son histoire, SNC-Lavalin pourrait bientôt devoir faire face à la justice algérienne.

La firme de génie québécoise aurait bénéficié des largesses du ministère algérien de l'Énergie dans l'attribution du contrat de construction et d'exploitation de la centrale électrique de Hadjret Ennous, dans le nord du pays.

Ces arrangements auraient été conclus en violation du Code algérien des marchés publics et auraient coûté pas moins de 670 millions de dollars au Trésor public, selon le journal El Chourouk, l'un des plus importants quotidiens arabophones d'Algérie.

De 2009 à 2011, la police judiciaire algérienne a enquêté sur le projet de centrale électrique. Le dossier se trouve maintenant entre les mains du procureur général de la Cour d'Alger, selon El Chourouk.

Citant des «sources judiciaires travaillant sur le dossier», le quotidien énumère une série de concessions faites à SNC-Lavalin en violation de la loi algérienne: terrain gratuit pour la centrale, eau de mer gratuite pour refroidir les turbines, gaz gratuit livré à la centrale, généreuses exemptions d'impôts.

«Le notaire qui a validé les procédures de conclusion de ce marché a avoué lors de l'enquête avoir bafoué la loi», soutient le journal.

Mais ces allégations ne sont pas considérées comme graves par le gouvernement et les banques algériennes, assure Leslie Quinton, porte-parole de SNC-Lavalin. «Toute enquête sur cette affaire a été menée au sein de l'État, et aucune n'a nui à notre réputation auprès du gouvernement en place et des agences de l'État», dit-elle.

SNC-Lavalin est actionnaire majoritaire de l'entreprise qui exploite la centrale depuis son ouverture, en juillet 2009.

En vertu de l'entente signée trois ans plus tôt, Sonelgaz, la Société nationale d'électricité et du gaz, doit acheter toute la production d'électricité de la centrale pendant 20 ans, à un prix supérieur aux coûts de production.

De plus, SNC-Lavalin aurait accusé un retard d'un an dans la construction de la centrale, sans en assumer la moindre conséquence, selon El Chourouk. C'est plutôt Sonelgaz qui aurait payé les pénalités de 160 millions de dollars, invoquant des ordres venus de l'ancien ministre de l'Énergie, Chakib Khelil.

Revers de fortune?

Le ministre Khelil a été limogé en mai 2010 dans la foulée d'un scandale de corruption à Sonatrach, la société d'État qui gère le pétrole algérien.

Les services de renseignement algériens avaient alors enquêté sur plusieurs affaires de pots-de-vin versés aux dirigeants de la société d'État.

«Cette enquête n'était pas une véritable opération mains propres, mais un règlement de comptes entre clans rivaux» au sein du pouvoir, soutient toutefois Hocine Malti, ancien membre fondateur de Sonatrach.

Exilé en France, M. Malti dénonce haut et fort la corruption qui gangrène le pouvoir algérien.

Selon lui, l'enquête sur Sonatrach était surtout destinée à miner l'influence exercée par le «clan de l'Ouest» du président Abdelaziz Bouteflika.

Quoi qu'il en soit, SNC-Lavalin semble avoir souffert de ce coup de balai.

En 2010, la firme de génie a perdu un contrat de 508 millions de dollars pour l'aménagement de la nouvelle ville de Hassi Messaoud, plaque tournante de l'industrie pétrolière du pays. Un contrat de 10 millions d'euros pour l'aménagement d'une autoroute a aussi été rejeté.

Mais selon Mme Quinton, il ne s'agit pas d'un revers de fortune pour SNC-Lavalin, présente en Algérie depuis trois décennies. «Notre entreprise est encore perçue comme l'une des meilleures avec lesquelles faire affaire, étant donné la qualité de notre travail et notre diligence dans la réalisation des projets, a-t-elle écrit à La Presse dans un courriel. À preuve, nous avons récemment été invités à soumissionner pour des projets à la fois dans le secteur de l'énergie et dans celui des hydrocarbures et produits chimiques, qui font actuellement l'objet d'un traitement prioritaire par l'État.»

Photo Rémi Lemée, archives La Presse

Selon le quotidien algérien El Chourouk, les arrangements entre SNC-Lavalin et le ministère de l'Énergie de l'Algérie auraient coûté quelque 670 millions de dollars au Trésor public.