C'est en marchant d'un pas décidé dans la nouvelle unité de production de réservoirs à essence que Jacques Mombleau, le président de Industries Spectra Premium, nous fait découvrir les dernières innovations qui permettent à son entreprise de produire maintenant 300 000 réservoirs par année.

«On a rajouté la deuxième ligne de réservoirs à essence il y a bientôt un an. On a doublé notre capacité de production. Là on va construire une nouvelle ligne d'assemblage qui va nous permettre de faire passer notre production annuelle à 450 000 unités, en 2012,» explique-t-il en poursuivant, à bonne cadence, la visite des installations de l'usine de Boucherville où travaillent 825 personnes.

Si le secteur manufacturier québécois a vécu durement la dernière récession et que de nombreuses entreprises appréhendent, non sans raison, l'avènement possible d'un nouveau ralentissement économique, ce n'est pas le cas d'Industries Spectra Premium.

Son président, Jacques Mombleau, affiche plutôt une humeur égale et même un optimisme posé quant à l'avenir immédiat de l'entreprise et ce peu importe les scénarios économiques qui peuvent se réaliser.

Une entreprise «recession proof»

C'est que Spectra Premium, qui tire 80 % de ses revenus annuels de 300 M$ de la vente de pièces automobiles pour le marché de remplacement, a traversé avec brio la dernière récession.

«Lorsque l'économie ralentit, les gens prolongent la durée de vie de leur véhicule et cela favorise évidemment la vente de pièces de rechange. Il y a dix ans, l'âge moyen des véhicules du parc automobile nord-américain était de 7 ans. Aujourd'hui, les véhicules ont en moyenne 9 ans d'âge. On parle d'une flotte de plus de 250 millions de véhicules qui ont besoin de nos produits. C'est un marché nettement favorable pour nous», observe Jacques Mombleau.

Une crise éprouvante

Fondée au début des années 90, Spectra Premium était à l'origine un fabricant de radiateurs destinés au marché de remplacement. Son fondateur Denis Charrest a décidé de consolider le marché canadien avant de se lancer en 2000 dans la production de pièces d'origine.

«GM avait besoin de réservoirs à essence pour équiper les voitures de modèle Monaro, une auto fabriquée en Australie dont on voulait écouler une dizaine de milliers d'exemplaires aux États-Unis. On a créé une ligne de fabrication de réservoirs à essence à Boucherville pour ce premier mandat» rappelle le PDG.

L'imposition de nouvelles normes environnementales plus strictes a amené les manufacturiers à recourir à des matériaux plus légers et Spectra Premium décide d'acquérir l'usine de transformation de magnésium Trimag, à Boisbriand, pour y réaliser la production de tableaux de bord de nombreux modèles de GM.

«Mais en 2008, au plus fort de la crise de l'industrie, GM était incapable d'honorer ses commandes et on a dû fermer l'usine Trimag que l'on venait tout juste de ré-outiller à fort prix. On aurait pu y laisser notre chemise, mais GM - malgré ses difficultés - a accepté de racheter nos inventaires et nos équipements», relate Jacques Mombleau.

Depuis le début des années 2000, Spectra Premium a donc investi le champ de la production de pièces d'origine pour les grands manufacturiers nord-américains. Ford est aujourd'hui le principal client de Spectra qui lui livre bon an mal plus de 100 000 réservoirs et systèmes d'alimentation d'essence pour ses camionnettes.

Chrysler s'alimente également en réservoirs d'essence chez Spectra pour la fabrication de ses modèles Sebring, alors que GM revient en force en confiant au groupe de Boucherville la fabrication de tous les réservoirs de sa nouvelle Volt, la voiture hybride dont on veut augmenter massivement la cadence de production.

«On a eu le contrat pour équiper les 12 000 Volt qui seront produites cette année. Mais dès l'an prochain, GM veut hausser à 90 000 le nombre de Volt qui sortiront de son usine. GM nous aime bien puisqu'on s'est classé parmi les 25 meilleurs fournisseurs du programme Volt», souligne fièrement Jacques Mombleau.

D'autres joueurs émergents tel que Fisker Automotive font appel à Spectra qui fabriquera les réservoirs de la nouvelle hybride Fisker Karma et possiblement de la Nina, un modèle présentement en développement.

«Les manufacturiers reviennent tous vers les réservoirs en acier pour leurs modèles de voitures hybrides parce que les réservoirs en plastique absorbent mal les changements de régime. C'est pourquoi on construit une nouvelle ligne de montage», explique Jacques Mombleau.

Une star boursière de jadis

Il faut aussi rappeler que Spectra Premium a déjà été une star de la bourse canadienne, et ce dès son premier appel public à l'épargne en 1997.

De 1997 à 1999, l'entreprise réalise pas moins de trois financements publics et lève plus de 160 M$ de capitaux qui lui permettront de réaliser plus d'une trentaine d'acquisitions, de devenir le leader canadien dans la fabrication de radiateurs d'automobiles et d'implanter un réseau de distribution aux États-Unis.

En deux ans, en pleine bulle des titres technologiques, la valeur de l'action de Spectra Premium - une entreprise manufacturière on ne peut plus ordinaire... - passe de 10 $ à 22 $!

Au cours des années suivantes, Spectra Premium s'est diversifiée dans la production d'autres pièces automobiles destinées au marché de remplacement: condensateurs, pompes à essence, réservoirs avec pompes à essence, compresseurs, carters d'huiles...

Aujourd'hui, le groupe fabrique ou distribue pas moins de 20 000 pièces différentes sous le chapeau de dix grandes lignes de produits.

En 2007, Denis Charest, le fondateur de Spectra Premium, décide de vendre ses actions. L'entreprise est alors privatisée et rachetée par Jacques Mombleau qui en était le PDG depuis 2002 et son équipe de direction qui possède aujourd'hui 40 % des actions du groupe.

Le Fonds de solidarité a été le principal partenaire financier dans le rachat de 97 M$ et il a été épaulé par Capital régional et coopératif Desjardins ainsi que le Groupe Camada, le holding familial de l'entrepreneur Placide Poulin.

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Quelques questions à jacques mombleau


La plus grande épreuve:«Les moments les plus éprouvants que j'ai vécus ont été ceux entourant la fermeture de l'usine Trimag à Boisbriand. On avait investi 20 millions de dollars et je ne voulais pas que le reste de l'entreprise ne souffre de ce contrecoup.»

Le meilleur coup:«Ça été la privatisation en 2006-2007 de Spectra Premium. On a réussi à garder la propriété de l'entreprise en mains québécoises, ce n'était pas évident de mettre sur pied un groupe financier pour réaliser le rachat.»

Le plus grand défi:«De continuer à être un manufacturier en Amérique du Nord. On est assailli de toutes parts par des producteurs à faible coût. Il faut être créatif.»

La meilleure leçon:«Tu ne peux pas réussir en affaires si tu n'es pas entouré de gens solides. Je suis incapable d'imaginer comment j'aurais pu m'en sortir seul. Ç'aurait été impossible.»

Photo: Edouard Plante-Fréchette, collaboration spéciale

Jacques Mombleau, le président de Spectra Premium.