En se laissant racheter par Kraft (KFT), le confiseur britannique Cadbury (CBY) tire un trait sur près de deux siècles d'indépendance, une perspective qui inquiète fortement au Royaume-Uni, l'entreprise, fondée par un Quaker, étant réputée pour ses valeurs et ses traditions sociales.

Comme l'explique lui-même Cadbury, «le groupe a été fondé sur de fortes valeurs et un sens de la responsabilité sociale», sur le mode paternaliste, non sans rappeler l'histoire de groupes comme Danone en France.

Les racines de l'entreprise remontent à 1824, lorsqu'un commerçant ambitieux, John Cadbury, ouvre une boutique de thé, café et cacao à Birmingham, au coeur de l'Angleterre industrielle.

L'objectif n'est pas que financier, mais aussi moral et charitable. En tant que Quakers, les Cadbury voyaient en effet dans le thé, le café et le cacao un moyen de détourner les classes populaires des boissons alcoolisées, sources de tous les maux.

L'entreprise grossit et se lance dans le chocolat et les confiseries. En 1879, elle ouvre une usine à Bournville, en périphérie de Birmingham, doublée d'un village modèle, qui offrira aux ouvriers école, infirmerie, terrains de sport...

Les employés bénéficient de salaires élevés pour l'époque, et le groupe va jusqu'à se soucier de leurs vieux jours, en leur fournissant un régime de retraite maison.

Non content de multiplier les oeuvres sociales, les Cadbury ont également joué un rôle pionnier dans la protection de l'environnement, en adoptant dès le milieu du dix-neuvième siècle un processus de filtration des fumées d'usines, et ont soutenu le mouvement anti-esclavagiste.

Même s'il est lui-même devenu au fil des siècles un géant mondial de la confiserie et du chocolat, coté à la Bourse de Londres, et n'est plus dirigé par les Cadbury, le groupe n'a jamais cessé de cultiver son image de groupe familial attaché à ses traditions.

Autant dire que le rachat par Kraft Foods, souvent vue à l'inverse comme une multinationale sans âme, suscite de fortes inquiétudes au Royaume-Uni.

«Beaucoup de gens sont inquiets pour l'avenir, celui du groupe et le leur, celui de leurs emplois et de leurs familles», a confié mardi un employé qui préférait rester anonyme, à l'entrée de l'usine de Bournville.

Selon le syndicat Unite, qui fait campagne depuis plusieurs semaines pour défendre l'indépendance de Cadbury, le rachat par Kraft pourrait mettre en danger près de 30 000 emplois au Royaume-Uni (en incluant les sous-traitants).

Le premier ministre Gordon Brown a lui-même promis de veiller à ce que les investissements et les emplois de Cadbury au Royaume-Uni soient préservés, et le ministre du Commerce Peter Mandelson a également assuré qu'il suivait le dossier de très près.

L'an dernier, Lord Mandelson avait déjà prévenu qu'il était hors de question de laisser un groupe étranger racheter une entreprise britannique pour se faire de l'«argent facile» .

Le rachat de Cadbury est d'autant plus surveillé au Royaume-Uni que le groupe y jouit d'une énorme notoriété, renforcée à coup de campagnes publicitaires originales et plusieurs fois primées.

Tous les Britanniques connaissent ainsi ce spot télévisé lancé en 2007, dans lequel un gorille joue à la batterie un tube de Phil Collins, sur fond violet, la couleur de la marque.

Le choc de voir Cadbury disparaître sera d'autant plus fort que le groupe joue abondamment sur le registre de la nostalgie, cherchant à raviver sans cesse l'attachement des consommateurs envers des produits qui ont bercé leur enfance, y compris par la relance de marques qui avaient disparu, comme les barres «Wispa». Un héritage que Kraft devra veiller à ne pas dilapider.