L'année 2018 est annoncée comme celle de la femme en politique aux États-Unis, mais dans les grandes entreprises les patronnes sont rares, et cela risque de durer.

Au sommet des organigrammes, les hommes rechignent désormais à jouer les « mentors » avec l'apparition du mouvement #metoo.

Le départ fin septembre de l'Indienne Indra Nooyi de la tête de PepsiCo, après douze années marquées par un bond de 80 % du chiffre d'affaires, a conforté une tendance observée depuis bientôt deux ans: la baisse du nombre de femmes PDG, alors même que les débats sur l'égalité hommes-femmes occupent une place prépondérante dans la sphère publique et médiatique.

Irene Rosenfeld (Mondelez), Denise Morrison (Campbell Soup), Margo Georgiadis (Mattel), Sherilyn McCoy (Avon), Meg Whitman (Hewlett-Packard), Ursula Burns (Xerox), Ellen Kullman (Dupont) ont cédé leur fauteuil.

Elles ont toutes été remplacées par des hommes, un coup dur pour la diversité, car avec ces nombreux départs, moins de 5 % de femmes dirigent aujourd'hui les entreprises membres du S&P 500, indice boursier regroupant les 500 plus grandes sociétés de Wall Street, contre 5,4 % en 2017, selon le cabinet Pew Research Center.

« On va dans la mauvaise direction », fustige Lorraine Hariton, qui dirige Catalyst, une ONG militant pour la promotion des femmes à de hautes responsabilités. « Les femmes parviennent à obtenir des postes de management de base, deviennent responsables intermédiaires, mais ne peuvent plus aller plus haut ».

Ecartant d'emblée l'idée que ce plafond de verre est dû au fait que les femmes souhaitent se consacrer davantage à leur famille, les experts interrogés par l'AFP y voient plutôt l'enracinement des clichés.

« Le stéréotype stipulant que les hommes "prennent les choses en main" et les femmes "prennent soin" (...) peut saper l'autorité des femmes et miner leurs chances d'avancement », explique Mme Hariton.

Et l'équilibre est d'autant plus difficile à trouver qu'une femme est souvent considérée « trop dure » quand elle émet une critique et « trop tendre » lorsqu'elle ne prend pas de mesures drastiques.

« L'autorité des femmes en entreprise est vite fragilisée dès qu'elles commettent une petite erreur », renchérit Jessica Kennedy, professeure à l'université Vanderbilt.

Millennials pas si ouverts

Souvent non invitées à des réunions importantes, les femmes aspirant à de hautes fonctions en entreprise sont aussi tenues à l'écart des virées entre collègues à la sortie des bureaux, relèvent ces experts. Or, c'est dans ces cercles que s'opère la cooptation.

Cette « culture de l'exclusion » pourrait être renforcée par le mouvement #metoo, car « beaucoup d'hommes ne veulent plus être mentors d'une femme de peur d'être accusés de harcèlement sexuel si jamais ils lui font un compliment », avance Jessica Kennedy.

« Il est difficile d'atteindre les sommets d'une entreprise si on n'a pas de mentor ou de parrain », souligne de son côté Lorraine Hariton.

Aux États-Unis, il est recommandé d'avoir un parrain (« sponsor ») et un mentor, qui mettent leur carnet d'adresses à la disposition de leur poulain, lui apportent des conseils et plaident pour sa promotion.

Si le nombre de femmes cadres a grimpé de 40,7 % en dix ans, celles-ci sont cantonnées à des postes comme directrice des ressources humaines, directrice juridique ou directrice financière, selon le Pew Research Center. Très peu accèdent à la fonction prestigieuse de directeur des opérations, considéré comme le successeur naturel du PDG.

Il n'est pas rare en revanche que les rênes d'une entreprise en grande difficulté soient confiées à une femme, défi - baptisé « glass cliff » ou falaise de verre - qu'elles acceptent la plupart du temps pour prouver leur compétence, même si la probabilité d'échec est élevée.

« Les femmes sont jugées les meilleures pour annoncer les mauvaises nouvelles », explique Christy Glass, professeure à l'université d'Utah, rappelant que Mary Barra a été nommée PDG de General Motors quelques jours avant que le constructeur automobile ne révèle en février 2014 l'affaire du commutateur d'allumage défectueux lié à la mort de 124 personnes.

Pour changer la donne, Lorraine Hariton préconise de féminiser les conseils d'administration, qui nomment et démettent les patrons.

« Les femmes sont jugées par des conseils d'administration composés à 80 % d'hommes blancs », dénonce-t-elle.

La Californie oblige depuis peu les sociétés cotées dont le siège social est dans l'État de nommer au moins une femme dans leur conseil d'administration d'ici à la fin 2019, et deux ou trois d'ici à la fin 2021.

Jessica Kennedy juge que les quotas sont devenus nécessaires parce que les jeunes hommes « millennials » (17-35 ans), quoique sensibles aux questions de diversité, estiment que l'égalité hommes-femmes peut être un frein à leurs ambitions.

De grandes entreprises, dont American Express, Best Buy et Ralph Lauren, ont signé récemment Parity Plegde, un appel à étudier au moins une candidature féminine à tout poste de responsabilité se libérant.