De passage à New York la semaine dernière, le ministre des Finances Carlos Leitao a tenu à préparer les investisseurs locaux à un automne chaud au Québec. «Il y aura peut-être des reportages télévisés intéressants», a-t-il déclaré lors d'un discours au Yale Club, évoquant les manifestations probables des employés syndiqués de l'État. La Presse lui a parlé après son allocution.

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Q À votre avis, comment les investisseurs new-yorkais devraient-ils interpréter les images télévisées de manifestations contre les mesures d'austérité de votre gouvernement?***

R D'abord comme un signal que nous vivons dans une société démocratique qui est ouverte et où les gens ont le droit d'exprimer leurs opinions. C'était surtout ça, mon objectif: leur dire qu'au Québec, contrairement à d'autres endroits en Amérique du Nord, les conventions collectives du secteur public arrivent à échéance en même temps. Ce n'est pas habituel, ni ailleurs au Canada ni aux États-Unis. Ça peut donc avoir l'air de quelque chose de majeur, mais c'est juste la façon dont nous faisons les choses. Tout doit se négocier en même temps.

Q Votre mise en garde ne reflète-t-elle pas une inquiétude de votre part sur la façon dont l'automne québécois va être perçu à l'étranger?

R Je pense que oui. Il ne faut pas être naïf non plus. Il faut comprendre que nous avons vécu ce que nous avons vécu en 2012. On ne s'attend évidemment pas à ce que ce soit une répétition de ça. Mais ça peut être une surprise [pour les gens de l'étranger]. C'était utile de rappeler à tout le monde que ça pourrait arriver.

Q Quelles réactions la dette québécoise suscite-t-elle aujourd'hui parmi les investisseurs new-yorkais?

R La dette québécoise est importante - 55% du PIB. C'est 200 et quelques milliards de dollars. C'est donc une dette qui est lourde. Mais en même temps elle est sous contrôle. C'est ce que j'ai dit ici, car ce n'est pas tout le monde qui est au courant de l'existence du Fonds des générations. Je pense que c'est un outil qui est très utile pour rehausser notre crédibilité. J'ai remarqué que plusieurs personnes réagissent en disant: «Ah, vous avez ça.» Et donc, ça les rassure de savoir que nous avons une politique où, à chaque année, on met 1 milliard, 1 milliard et demi de revenus dans un fonds dont le seul objectif est de faire baisser le niveau de la dette nette.

Q Jugez-vous que le Québec a commencé à profiter de la reprise américaine?

R On aurait pensé qu'on aurait déjà commencé à en profiter. Les bilans des entreprises exportatrices québécoises s'améliorent, notamment en raison de la dépréciation du dollar canadien. Elles exportent donc un peu plus, mais elles ne sont pas encore passées à l'étape suivante, qui est celle de prendre de l'expansion et d'augmenter la production. Cela dit, Ethan Harris, le chef économiste de Bank of America Merrill Lynch, me disait que les États-Unis eux-mêmes vivaient une situation semblable. C'est LA question du jour, le fait que l'investissement privé, non seulement au Québec mais également ici, soit encore si faible. Les entreprises sont timides, prudentes.

Q Y a-t-il quelque chose à faire, d'un point de vue québécois, pour profiter davantage de la reprise actuelle ou éventuelle aux États-Unis?

R Il faut que nos PME n'oublient pas le marché américain. Et surtout il faut comprendre que le marché américain a changé. Dans les cycles précédents, quand il y avait un rebond aux États-Unis, tous en bénéficiaient, au Québec et en Ontario surtout. Maintenant, c'est différent. Contrairement aux années 90, nous avons le Mexique, la Chine et d'autres pays qui sont très présents. Nous avons perdu des parts de marché. Et c'est là où le gouvernement a un rôle à jouer. Non seulement du côté de la taxation des entreprises, des PME, mais aussi du côté de la connaissance du marché, pour les aider à percer le marché.

Q Vous avez tenu à aborder devant les investisseurs new-yorkais la politique du gouvernement québécois sur la question des changements climatiques. Pourquoi?

R Pour leur rappeler que nous avons vraiment pris une position de leadership dans ce dossier-là. Nous avons réussi à convaincre l'Ontario de se joindre au [système de plafonnement d'échange de droits d'émission des gaz à effet de serre]. L'État de New York n'est pas encore prêt à franchir cette étape-là, mais on y travaille tranquillement.