Le soleil de février se couche sur les collines de Salinas, sur la côte ouest de la Californie. Comme sa famille le fait depuis quatre générations, Scott Violini a parcouru depuis ce matin ses 7000 acres de terres pour veiller au bien-être de son troupeau de 800 vaches.

Le producteur bovin fait de son mieux pour nourrir ses bêtes. Mais depuis plusieurs mois, elles n'ont plus un seul brin d'herbe à brouter. Le sol, normalement recouvert d'une végétation luxuriante à ce temps-ci de l'année, est sec comme du sable. Et affiche une teinte brunâtre à perte de vue, loin de son vert éclatant habituel.

«On a eu 2,2 pouces de pluie depuis le début de la saison, contre 14 en temps normal, déplore Scott Violini, son chapeau de cowboy bien planté sur la tête. En ce moment, les herbes autour de moi devraient être hautes d'au moins 12 pouces...»

La sécheresse historique qui s'abat sur la Californie depuis plusieurs mois est la pire à frapper l'État depuis au moins 150 ans, selon le California Farm Bureau. D'autres experts parlent de la période la plus sèche des 500 dernières années, une information impossible à vérifier.

Quoi qu'il en soit, la sécheresse, ici, s'affiche partout. Le long des autoroutes californiennes, 700 panneaux lumineux avertissent depuis cette semaine d'une «sécheresse extrême», et exhortent les citoyens à économiser l'eau potable. Dans les journaux et à la télé, le sujet fait les manchettes.

Les politiciens locaux en ont fait la principale priorité de l'État le plus peuplé des États-Unis. La crise est bien réelle, et elle frappe fort.

Dans les fermes qui tapissent le coeur de la Californie, tout le monde se prépare au pire. «On saura à la fin mars à quel point la situation sera grave pour les agriculteurs», avance Dave Kranz, porte-parole du California Farm Bureau.

L'industrie agricole, qui a généré ici des revenus de 43,5 milliards de dollars en 2012, risque de perdre des milliards cette année en raison de la sécheresse. Selon certaines estimations, 40% des emplois de la Central Valley - la zone agricole la plus productive des États-Unis - seraient menacés, ce qui représente plus de 110 000 travailleurs.

«Beaucoup de communautés vivent exclusivement de l'agriculture, souligne Dave Kranz pendant un entretien. Beaucoup d'emplois seront perdus cette année, et pas juste dans les fermes, mais aussi dans toutes les entreprises associées: transport, équipement agricole, fertilisants, etc.»

Photo Ninon Pednault, La Presse

Le producteur bovin Scott Violini.

Réserves presque à sec

La quasi-absence de précipitations des derniers mois provoque une véritable réaction en chaîne dans le système d'approvisionnement en eau de la Californie. Environ le tiers de l'eau consommée ici provient de la fonte des neiges des montagnes de la Sierra Nevada, qui forment un immense réservoir naturel.

Or, les réserves naviguent ces jours-ci à un creux historique. Le mois dernier, elles sont descendues... à 12% de leur niveau habituel. Les précipitations massives tombées le week-end ont permis au réservoir de remonter à environ 30%, ce qui demeure alarmant.

«Les dernières prévisions météorologiques montrent zéro précipitation à l'horizon, et on s'attend à ce que ça reste à zéro pour encore un bout de temps», a expliqué à La Presse Affaires Daniel A. Sumner, directeur de l'Agricultural Issues Center de l'Université de Californie.

La situation est si critique que le gouverneur de l'État, Jerry Brown, a demandé aux Californiens de réduire leur consommation d'eau de 20%. Une vingtaine de communautés rurales se retrouveront à sec d'ici deux à quatre mois si aucune précipitation d'importance ne tombe, avancent certains médias.

Le California Department of Water Ressources a pour sa part pris des mesures extrêmes pour éviter une pénurie généralisée d'eau potable. Pour la première fois en 54 ans d'existence, le State Water Project, qui distribue de l'eau à 29 agences publiques dans l'État, ne fournira pas une goutte cette année. Ce rationnement extrême touchera directement 25 millions de Californiens et aura des conséquences sur 750 000 acres de terres arables normalement irriguées.

Selon le California Farm Bureau, au moins 500 000 acres des 8 millions d'acres de terres normalement irriguées seront laissés en friche cette année, faute d'eau. D'ici quelques semaines, les agriculteurs devront décider quelles cultures ils sacrifient.

On s'attend à ce que les produits les moins «lucratifs», comme les oignons, l'ail, le coton ou les tomates, soient laissés de côté. Les agriculteurs tenteront par tous les moyens de sauvegarder leurs amandiers, pistachiers et autres vignes qui mettent des années à croître avant de produire des fruits. Les prix de plusieurs denrées risquent de grimper de façon significative au supermarché.

Photo Ninon Pednault, La Presse

Éleveurs pénalisés

Dans l'immédiat, ce sont les éleveurs bovins qui souffrent le plus de la sécheresse. En temps normal, leurs bêtes devraient brouter les herbes hautes qui poussent à cette période-ci sur les sols fertiles de la Californie. Or, le manque de précipitations s'est traduit par une absence complète de pâturage. Pour garder leur bétail en vie, les «cattlemen», comme on les appelle ici, doivent acheter du foin à prix fort.

La demande est tellement forte que la valeur du foin est passée de 200$US à environ 300$US la tonne. Une dépense énorme pour ces producteurs qui exploitent souvent de petites entreprises familiales.

«Je donne 4 tonnes de foin par jour à mes vaches, ce qui représente au moins 1000$ par jour, en excluant le transport et la main-d'oeuvre, explique Scott Violi. Notre marge de profit a fondu au point où nous sommes dans le rouge.»

Plusieurs éleveurs s'apprêtent à vendre leurs veaux plusieurs mois avant leur maturité pour avoir moins de bouches à nourrir. Justin Fields, producteur bovin de cinquième génération, est résigné.

«On a vendu quelques têtes de bétail jusqu'à maintenant, et je songe sérieusement à vendre tous mes veaux à l'encan dès la semaine prochaine», dit le cowboy de San Jose, juste avant de distribuer le foin à ses vaches dans son ranch montagneux.

D'ici à ce que les nuages ouvrent leurs vannes dans le ciel californien, le lobby des agriculteurs et éleveurs travaille fort en coulisse en vue d'obtenir des aides massives du gouvernement fédéral. Les leaders de l'industrie ont profité de la visite du président Barack Obama, hier à Fresno, pour faire valoir leur point de vue.

Photo Ninon Pednault, La Presse

Une nouvelle ruée vers l'or?

La baisse draconienne du niveau de plusieurs cours d'eau a entraîné une véritable ruée vers l'or dans certaines régions de la Californie.

Selon plusieurs médias locaux, les prospecteurs à la recherche de pépites de métal jaune ont pris d'assaut le nord de la Californie dans l'espoir de faire de lucratives découvertes. CBS rapporte entre autres le cas de Curt Simmons, un Californien qui a profité de la sécheresse pour fouiller des zones inexplorées depuis plus de 100 ans. Celui-ci affirme avoir trouvé pour 4500$ d'or en deux petites journées de recherche.

Un des rares côtés positifs à une crise qui secoue le monde agricole, en plus de favoriser la multiplication des feux de broussaille partout dans l'État.

Photo Reuters

La diminution de la couche de neige des montagnes de la Sierra Nevada, causée par la quasi absence de précipitations, apparaît clairement sur ces photos. Or la fonte de ces neiges est une importante source d'eau potable de la Californie.