Après le renoncement-surprise de Larry Summers, l'actuelle numéro deux de la Banque centrale américaine, Janet Yellen apparaît comme la favorite la course à la présidence de la Fed, mais d'autres candidats peuvent encore être considérés par la Maison-Blanche.

Ancienne conseillère économique de Bill Clinton, vice-présidente de la Réserve fédérale depuis 2010, Mme Yellen, 67 ans, a repris la corde alors que l'ancien principal conseiller économique du président Obama, Larry Summers, figurait jusqu'à dimanche comme le favori de la Maison-Blanche.

Sous la vigueur des critiques et de l'opposition d'élus démocrates --alors que le Congrès doit avaliser le choix du président à la tête de la Fed--, M. Summers a jeté l'éponge estimant que le processus de confirmation au Congrès serait trop «acrimonieux».

La sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren, bête noire de Wall Street et membre de la commission bancaire du Sénat, a affirmé lundi sur la chaîne CNBC que «le fait que Larry n'était pas mon premier choix, n'était pas un secret». «Janet Yellen, je l'espère, fera une fantastique présidente de la Fed. J'espère qu'elle sera nommée», a affirmé la sénatrice, soulignant que la régulation financière est aussi le domaine du dirigeant de la Fed.

Le retrait de M. Summers «à contrecoeur», comme il l'écrit, a été accepté par la Maison-Blanche alors que l'administration Obama s'apprête à un nouveau bras de fer avec les républicains du Congrès sur le relèvement du plafond de la dette et le budget et veut éviter la controverse sur la désignation du futur dirigeant de la politique américaine.

Avant ce coup de théâtre, Janet Yellen, qui est restée silencieuse depuis le début de la course, avait reçu de multiples soutiens de la part de démocrates comme d'experts économiques.

Au plus fort de sa rivalité avec l'ancien secrétaire au Trésor dans la campagne pour ce poste de «dirigeant politique l'un des plus importants au monde», selon les mots de M. Obama, un groupe d'une trentaine de sénateurs démocrates avait pris parti pour Mme Yellen dans une lettre au président Obama.

Et la semaine dernière, quelque 240 économistes, dont le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz et les conseillères économiques de l'administration Clinton, Alice Rivlin et Christina Romer, ont signé une lettre ouverte à Obama soutenant Mme Yellen.

Dans la continuité de Bernanke

«Il est très très dur d'imaginer comment Obama justifierait le fait de ne pas choisir Janet Yellen à ce stade. Personne d'autre n'est aussi qualifié. Un choix différent ressemblerait à de la rancoeur», notait lundi l'éditorialiste du New York Times Paul Krugman, lui aussi prix Nobel d'économie, sur son blogue.

Mme Yellen qui a soutenu la trajectoire monétaire ultra-accommodante de Ben Bernanke représente la continuité de cette politique. La Fed entend diminuer dès que possible son soutien exceptionnel à la reprise. Une réunion du Comité de politique monétaire (FOMC) se conclut mercredi et devrait, selon une majorité d'analystes, amorcer cette transition de la politique monétaire.

Le président Barack Obama, qui avait présenté début août M. Summers et Mme Yellen comme étant «hautement qualifiés», avait aussi affirmé qu'il disposait d'un «large éventail de candidats». Le nom de Donald Kohn, 70 ans, le prédécesseur de Mme Yellen à la vice-présidence de la Fed et qui a fait une carrière de 40 ans dans l'institution, refait d'ailleurs surface.

L'ancien secrétaire au Trésor Timothy Geithner, 52 ans, qui jusqu'ici n'était pas intéressé par le poste, est à nouveau cité dans les médias ainsi que, dans une moindre mesure, Roger Ferguson, 61 ans, ancien numéro 2 de la Fed sous Alan Greenspan, qui deviendrait, le cas échéant, le premier noir à la tête de la Banque centrale.

Des observateurs estiment même que Ben Bernanke, 58 ans, dont le second mandat s'achève le 31 janvier, pourrait finalement rester. «Le choix le plus sûr, c'est Yellen. L'autre choix dont personne n'a parlé et qui est je crois encore une possibilité, est de garder le meilleur candidat pour ce job, et c'est Bernanke», affirmait lundi sur la chaîne économique CNBC Tony Fratto, ancien porte-parole de la Maison-Blanche pour l'administration Bush.

Experte à la réputation de «colombe»

Si le président Obama devait la choisir, Mme Yellen serait la première femme à accéder au poste de présidente de la Réserve fédérale américaine, une institution qui a tout juste un siècle d'existence.

Considérée comme une démocrate, Mme Yellen a passé plus de douze ans au coeur de la politique monétaire américaine. Elle est plutôt vue au sein du Comité de politique monétaire(FOMC) comme une «colombe», davantage préoccupée par le chômage que par l'inflation.

Cette passionnée d'économie, qui a épousé un économiste et dont le fils a aussi embrassé la profession, a méthodiquement grimpé les échelons de la Fed.

Après cinq ans de professorat à l'université de Harvard, elle est entrée à la Réserve fédérale par la petite porte en 1977 au sein des effectifs de chercheurs économistes qui fournissent analyses et statistiques au directoire de la Banque centrale. Elle y restera deux ans. C'est là qu'elle rencontre son mari, George Akerlof, futur prix Nobel d'économie.

Cette titulaire d'un doctorat d'économie a eu pour mentor à l'université de Yale en 1971 James Tobin, prix Nobel de l'économie en 1981 et connue pour son idée de taxe sur les transactions internationales.

En 1980, Mme Yellen retourne dans l'enseignement à l'Université de Californie à Berkeley, jusqu'à ce que le président démocrate Bill Clinton la choisisse pour être un des gouverneurs de la Fed en 1994.

Au sein du FOMC, elle votera parfois contre les décisions du tout puissant président de la Fed Alan Greenspan.

En 1997, le président Clinton lui demande de prendre la tête du Cercle des conseillers économiques de la Maison-Blanche jusqu'en 1999.

À ce poste, elle succède à Joseph Stiglitz, économiste critique du libéralisme à outrance, qui partagera en 2001 le prix Nobel de l'économie avec son mari.

En 2004, Mme Yellen revient à la Réserve fédérale où elle préside jusqu'en 2010 l'antenne régionale de San Francisco. Certains lui reprocheront de n'avoir pas su tirer à l'époque la sonnette d'alarme sur la bulle immobilière dans une région qui couvre la Californie, le Nevada et l'Arizona, États qui allaient être au coeur du désastre des prêts à risque (subprime).

«Avions-nous une compréhension totale des défaillances du système de titrisation et de la façon dont cela allait affecter le système financier dans son entier ? Non», a-t-elle reconnu plus tard devant une commission créée par les autorités pour comprendre la crise financière de 2008.

Pourtant dès fin 2007, elle est l'une des premières au sein du (FOMC) à diagnostiquer, avec ce ton professoral que lui attribuent certains, que «les possibilités d'un étranglement du crédit et que l'économie glisse dans la récession sont des plus réelles».

À l'été 2009, son nom est cité une première fois pour remplacer Ben Bernanke, nommé à la tête de la Réserve fédérale en 2006 par George W. Bush et finalement reconduit en 2010 pour un deuxième mandat par le président Obama.

La même année, Janet Yellen accède à la vice-présidence du directoire de la Banque centrale pour quatre ans. À ce poste, elle sera un des meilleurs alliés de Ben Bernanke, soutenant sa politique exceptionnelle d'assouplissement monétaire. «Réduire le chômage doit être au centre de l'action», répète-t-elle.

Née à Brooklyn, fille de médecin, cette femme menue au visage encadré d'un casque de cheveux blancs, est friande de tout ce qui touche à l'économie: «si vous passez une soirée à la maison, vous entendrez parler d'économie à table (...). Vous serez plus gavé de discussions économiques que vous n'en avez l'appétit», promettait-elle dans un entretien à l'antenne de Minneapolis de la Banque centrale en 1995.