Durant sa carrière de plus de 35 ans en enseignement et en recherche, Jaime A. Regalado a vu l'influence de l'argent sur la politique américaine grandir, année après année. En 2012, dit-il, l'énormité des sommes en jeu se résume en un mot: «obscène».

«L'argent a toujours joué un rôle dans la politique américaine, explique M. Regalado, analyste politique et professeur émérite de sciences politiques à la California State University. Cela dit, on assiste aujourd'hui à une situation où les sommes sont démesurées. Ce n'est pas beau à voir.»

Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Cette année, Barack Obama et Mitt Romney ont chacun récolté plus d'un milliard de dollars en contributions, un seuil qu'aucun candidat à la présidence n'avait jamais franchi jusqu'ici.

Si on ajoute les dépenses des centaines de courses au Sénat et à la Chambre des représentants, on arrive à un total de 5,8 milliards dépensés pour les élections américaines du 6 novembre.

Pour mettre ce chiffre en contexte, c'est plus de deux fois le budget du programme Curiosity de la NASA, qui a envoyé une sonde d'une tonne se poser sur la planète Mars.

Selon un rapport du Center for Responsive Politics, l'élection de 2012 a coûté 400 millions de plus que celle de 2008, «qui avait déjà elle-même battu des records.»

M. Regalado note que c'est la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Citizens United, en 2010, qui a fini d'ouvrir les portes qui séparaient l'argent et la politique.

Les particuliers ou les entreprises peuvent désormais verser des sommes illimitées aux Super Political action committee (super PAC), des groupes qui appuient un candidat, sans faire partie de son organisation politique officielle. Sept des dix plus importants super PAC appuient Romney dans la course à la Maison-Blanche: ils peuvent attaquer Obama parce qu'il ne soutient pas assez l'industrie du charbon, par exemple, ou bien rappeler aux électeurs que le président a fait augmenter la dette nationale à des niveaux records.

Tous les coups sont permis. Et l'identité des donateurs peut rester secrète.

Wall Street boude Obama

Le plus gros donateur cette année - et de loin- est le magnat du jeu de Las Vegas, Sheldon Adelson.

En septembre, Adelson, dont la fortune s'élève à 20 milliards de dollars, a déclaré qu'il était prêt à dépenser «jusqu'à 100 millions» pour défaire Obama. Lui et sa femme ont jusqu'ici dépensé plus de 70 millions de dollars pour appuyer la candidature de Mitt Romney et plusieurs autres républicains au Sénat et à la Chambre des représentants. (Voir encadré)

Cela représente près du triple des 24 millions dépensés par le milliardaire George Soros en 2004 pour essayer de faire battre George W. Bush, montant le plus important jusqu'à aujourd'hui.

En 2008, les millions de Wall Street étaient allés à Obama. Pas cette année: avec Mitt Romney, Wall Street a trouvé son candidat.

«Les grands syndicats ont plutôt appuyé les candidats démocrates au Sénat et à la Chambre des représentants, ainsi que diverses causes qui seront décidées par référendum dans les États sur les bulletins de vote, note M. Regalado. Les bailleurs de fonds d'Obama ont dû composer avec cette réalité.»

Là où Obama a mieux fait que Romney cette année, c'est sur le plan de la contribution des donateurs individuels. La campagne d'Obama a récolté 39% de son budget total auprès de «petits» donateurs, c'est à dire ceux qui ont fait des dons de 200$ ou moins. À l'inverse, les «petits» donateurs n'ont procuré à Romney que 15% de son budget.

Cette «armée» de petits donateurs a permis à Obama de passer davantage de temps à faire campagne dans les divers États-clés, cet automne. Romney, lui, a passé beaucoup de temps en septembre et en octobre dans des soirées de souscription. Des évènements très lucratifs, mais où le candidat est entouré de personnes qui votent déjà pour lui.

La suprématie de l'argent va-t-elle être remise en question aux États-Unis? Dans une récente analyse, la directrice générale du Center for Responsive Politics, Sheila Krumholz, signalait que c'est le public qui devra en faire la demande.

«Finalement, les outils du changement sont entre les mains des électeurs, qui devront décider, ou non, de faire pression auprès de leurs représentants pour que le système soit modifié, a-t-elle noté. D'ici là, nous ne devrons pas être surpris si, en 2013, nous commençons à entendre une nouvelle mélodie - sans savoir qui est derrière l'instrument.»

Le chiffre

89% des Américains estiment que l'argent des grandes entreprises a trop d'influence en politique, selon un sondage mené plus tôt ce mois-ci par la firme liée aux démocrates Bannon Communications.

Pour 81% des Américains, les grandes entreprises devraient «seulement dépenser de l'argent dans les campagnes si elles révèlent immédiatement ces dépenses», et 80% estiment que les entreprises devraient «obtenir, au préalable, l'accord de leurs actionnaires» avant d'appuyer une cause ou un candidat.

L'argent de la course à la Maison-Blanche

> Barack Obama

A récolté: 1,07 milliard

A dépensé $887 millions

> Mitt Romney

A récolté: 1,12 milliard

A dépensé $777 millions

(En date du 31 octobre, 2012.)