Un redresseur d'entreprises ayant sauvé des emplois ou un requin de la finance s'étant enrichi aux dépens de ses employés? La carrière de Mitt Romney dans le monde des affaires n'a laissé personne indifférent.

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Favori pour devenir le candidat républicain à l'élection présidentielle de novembre prochain, Mitt Romney a fondé et dirigé Bain Capital, l'une des plus grandes firmes d'investissement privé, entre 1984 et 1999. Son modus operandi: acquérir une entreprise en difficulté à bas prix et surtout à crédit, orchestrer une restructuration menant parfois à des pertes d'emplois, puis revendre l'entreprise à profit au bout de cinq ans.

En campagne électorale, Mitt Romney soutient avoir créé plus de 100 000 emplois durant ses années chez Bain Capital, notamment chez Staples, The Sports Authority et Domino's Pizza. «Ces chiffres peuvent facilement être tripotés», dit son rival républicain Jon Huntsmann, ancien gouverneur de l'Utah. Dans une publicité électorale, le gouverneur du Texas Rick Perry, aussi en lice contre Mitt Romney en vue de l'investiture républicaine, croit que son rival «a fait des millions en achetant des entreprises et en faisant des licenciements». Un autre républicain ayant des visées sur la Maison-Blanche, Newt Gingrich, va encore plus loin: il exige que Mitt Romney «rembourse l'argent qu'il a obtenu grâce à des entreprises en faillite et des licenciements».

Le plus important syndicat américain ne croit pas non plus les prétentions de Mitt Romney sur son passé de créateur d'emplois dans le secteur privé. «L'idée de Mitt Romney que des acquisitions par endettement (LBO) sont faites pour créer des emplois est absurde. Tout ce qui est certain, c'est que Mitt Romney et d'autres investisseurs prospères sont devenus encore plus riches grâce à son travail chez Bain Capital», a indiqué par courriel à La Presse Affaires Heather Slavkin, conseillère juridique senior du Bureau des investissements de l'AFL-CIO, qui compte 12,2 millions de syndiqués aux États-Unis.

Comme Bain Capital est une entreprise privée, impossible de connaître avec exactitude le bilan de Mitt Romney en matière d'emplois dans le secteur privé. Sa plus importante acquisition, réalisée en 1994, a toutefois provoqué le licenciement de 1700 employés chez l'entreprise d'équipement médical Dade.

L'histoire de Dade ne joue pas en faveur de Mitt Romney, accusé par ses rivaux politiques d'être le porte-étendard du «capitalisme sauvage» incarné par les grandes firmes américaines d'investissement privé. En 1994, un groupe d'investisseurs dirigé par Bain paie 450 millions pour Dade. En 1999, Dade emprunte pour racheter la moitié des actions de ses investisseurs au prix de 420 millions. Plusieurs dirigeants de Dade, dont le PDG Scott Garrett, s'opposent cette stratégie commune dans le milieu de l'investissement privé. «C'était trop agressif, a-t-il dit au New York Times. L'entreprise avait atteint la limite de sa capacité d'endettement.»

Les investisseurs ont touché 420 millions US, mais quand les taux d'intérêt ont monté, Dade a été prise en dépourvu et a dû faire d'autres licenciements. L'entreprise s'est placée à l'abri de la faillite durant deux mois en 2002. Elle a finalement été rachetée pour 7 milliards par Siemens en 2007.

Plusieurs ex-employés gardent un mauvais souvenir de Bain Capital. «Comment peuvent-ils venir et nous dire que tout est terminé?», a dit au New York Times Brian Shoemaker, qui a perdu son emploi chez Dade tout comme sa femme en 1997. «Les employés ont été traités de façon horrible. Bain était seulement influencé par les profits», a dit Cindy Hewitt, une ancienne responsable des ressources humaines de Dade, au New York Times.

Un taux de faillite de 22%

Mitt Romney défend son bilan chez Bain Capital, où il faisait souvent l'acquisition d'entreprises «en difficulté dont personne ne voulait». «Dans l'économie réelle, certaines entreprises survivent, d'autres non, dit-il. Le remède est parfois un peu amer, mais il est nécessaire pour sauver la vie du patient.»

Si Mitt Romney a sauvé la plupart de ses «patients», plusieurs d'entre eux ont continué d'éprouver des ennuis de santé par la suite. Selon une enquête du Wall Street Journal, 22% des 77 entreprises dans lesquelles Bain Capital a investi durant le règne de Mitt Romney (1984-99) ont fait faillite au cours des huit années suivant l'investissement de Bain Capital.

Les décisions de Mitt Romney ont été payantes pour ses actionnaires, incluant lui-même. Sur les 77 transactions étudiées par le Wall Street Journal, Bain Capital a généré des gains de 2,5 milliards sur un investissement de 1,1 milliard. Les rendements annuels des années Romney variaient entre 50% et 80%, ce qui plaçait Bain Capital parmi les firmes d'investissement privé les plus rentables au monde. «Pour chaque faillite, il y avait un gros succès. Le rendement final était formidable pour les investisseurs», a dit Steven Kaplan, professeur de finances de l'Université de Chicago, au Wall Street Journal.

Toujours un investisseur chez Bain Capital

Mitt Romney a amassé l'essentiel de sa fortune, qui varie entre 190 et 250 millions de dollars aujourd'hui, à la tête de Bain Capital, une firme d'investissement privé fondée par la firme de consultation Bain&Company en 1984.

Quand il a quitté Bain Capital en 1999 pour diriger le comité organisateur des Jeux olympiques de Salt Lake City, Mitt Romney a conclu une entente avec son ancien employeur: il obtiendrait une part des profits de 22 fonds de Bain Capital (il n'en gérait que 11 quand il est parti) jusqu'en février 2009. Il garderait aussi le droit d'investir son argent dans Bain Capital comme s'il la dirigeait encore. C'est ainsi que Mitt Romney et sa femme Ann ont gagné entre 5,6 et 13,4 millions de dollars l'an dernier grâce à leurs investissements chez Bain Capital, qui varient entre 22,4 et 70,9 millions.

L'entente scellant le départ de Mitt Romney est-elle trop généreuse selon les critères de Wall Street? Cédric Teissier, directeur de la firme Triago qui finance des firmes privées à Wall Street, parle d'une entente «probablement extravagante». Un des anciens associés de Mitt Romney chez Bain Capital est plus nuancé. «Il a eu une très bonne entente de départ. Il aurait probablement pu avoir davantage s'il avait négocié plus fermement, mais il aurait dû gérer la publicité négative d'une crise avec ses anciens associés», a dit au New York Times un ancien associé chez Bain ayant requis l'anonymat.

- Avec le Wall Street Journal

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BAIN CAPITAL

> Fondé en 1984

> Actif sous gestion: 66 milliards US (à titre de comparaison, la Caisse de dépôt et placement du Québec avait un actif sous gestion de 199 milliards, dont 17,5 milliards en placements privés, en 2010)

Principaux placements:

> Dunkin' Donuts et Baskin-Robbins (chaîne de restaurants)

> AMC Entertainment (chaîne de cinémas)

> Clear Channel Communications (stations de radio)

> The Weather Channel (météo)

> Toys «R» Us (jouets pour enfants)