C'est Chubby Checker qui doit se réjouir, lui qui a connu ses heures de gloire en 1959-1960 en popularisant le twist, une danse qui paraît aujourd'hui bien anodine.

L'engouement était si fort à l'époque que même la Réserve fédérale américaine (Fed) avait renommé son programme de modifications de la durée de son portefeuille obligataire Operation Twist (OT).

Aujourd'hui, la Fed amorce une importante réunion de deux jours qui pourrait aboutir demain à une nouvelle OT, afin de soutenir d'un léger coup de bassin une économie qui titube.

Depuis le discours de son président Ben S. Bernanke, à Jackson Hole le mois dernier, les intervenants des marchés spéculent sur l'imminence d'un nouveau stimulus monétaire.

Une troisième ronde de détente quantitative (DQ3) paraît à ce stade-ci peu probable, étant donné les résultats discutables de la deuxième, terminée en juin, et des vives oppositions au sein même de la Fed à toute forme d'injection de liquidités supplémentaires.

De novembre à juin, la Fed avait acheté 600 milliards US de la dette émise par le Trésor américain, ce qui revenait à monétiser le déficit durant cette période. Cette stratégie avait été appelée DQ2.

La Fed réinjectait aussi dans l'achat de Treasuries le principal et les intérêts des titres en toutes sortes qu'elle détenait et qui venaient à échéance.

Depuis la fin de juin, la Fed s'est engagée à poursuivre ses réinjections, ce qui revient à l'achat de quelque 100 à 150 milliards US de Treasuries par mois.

Durant la DQ2, la Fed a concentré ses achats dans les échéances de cinq à sept ans. Elles correspondent à celle des prêts hypothécaires.

Elle pourrait cette fois-ci annoncer qu'elle se concentrera plutôt sur celles de 10 ans et plus de manière à assouplir toutes les échéances pour les emprunteurs.

Ce coup de bassin vers les longues échéances plutôt que les moyennes représente l'opération Twist que les marchés financiers ont déjà escomptée. Or, les rendements de ces titres sont déjà à des creux de plus de 50 ans parce que les Treasuries restent le meilleur refuge pour les détenteurs de capitaux qui craignent la zone euro ou les marchés boursiers.

Bref, avant même que la Fed ait agi, les taux longs sont déjà devenus très faibles, sans pour autant que l'économie réelle ait été dynamisée.

L'OT pourrait cependant être de bien plus grande envergure. La Fed pourrait chercher à se défaire d'une grande partie de ses Treasuries à courte échéance afin de les troquer contre des échéances plus longues.

Reste à voir si, au-delà des fluctuations boursières immédiates, cela peut vraiment relancer les marchés de l'habitation et du travail.

En août, l'économie américaine n'a pas créé d'emplois et le taux de chômage s'élevait encore à 9,1%, une calamité aux yeux de tous et de M. Bernanke en particulier.

Le président de la Fed s'inquiète que beaucoup d'Américains perdent leurs habiletés et leurs compétences s'ils chôment trop longtemps. En août, 42,9% des chômeurs étaient sans emploi depuis au moins 27 semaines, alors que la moyenne historique est de 15% seulement.

Sven Jari Stehn, économiste chez Goldman Sachs, estime qu'une OT pourrait ajouter un demi-point de pourcentage à la croissance américaine au cours de la prochaine année, mais diminuer d'un dixième seulement le chômage structurel d'ici 2015.

Voilà pourquoi certains pensent que la Fed pourrait rester sur sa lancée du 9 août. Elle s'était alors engagée à conserver au moins jusqu'au milieu de 2013 son taux directeur dans une fourchette de zéro à 0,25%. Elle pourrait annoncer le prolongement du statu quo tant que le taux de chômage n'ait pas diminué jusqu'à un pourcentage donné.

Par malheur, l'inflation est tenace. Son rythme annuel était de 3,8% le mois dernier, de 2,0% si on exclut les aliments et l'énergie.

Tandis que le prix des maisons n'augmente pas et baisse même dans certains États, que les taux hypothécaires restent faibles, le coût du logement augmente. Faute d'avoir un emploi ou les moyens d'acheter une maison, les quelque 825 000 ménages qui se forment chaque année choisissent de payer un loyer plutôt qu'un prêt hypothécaire, ce qui fait monter les prix des logements.

On touche ici au coeur du problème que la Fed est impuissante à résoudre. La crise actuelle en est une d'endettement des ménages. «Nous sommes face à une alternative: ou bien on attend que le désendettement prenne fin tout seul, ce qui est un exercice pénible qui peut durer des années, ou on l'accélère en s'attaquant à sa racine, souligne Sherry Cooper, économiste en chef chez BMO marchés des capitaux. Cela signifie faire pression sur les créanciers pour qu'ils réduisent le montant de leurs prêts hypothécaires et les taux d'intérêt qu'ils exigent.»

La classe politique se refuse à pareille action, aveuglée par un sectarisme partisan.

Il serait étonnant que la Fed lui suggère cette difficile voie à suivre. C'est plus facile de danser le twist.